Fables et légendes du Japon | Page 4

Claudius Ferrand

qu'Ourashima Taro est mort!
--Sept cents ans! s'écrie le pêcheur.
Aussitôt il pâlit et chancelle. Ces dernières paroles du vieillard sont
pour lui comme un trait de lumière. Il a compris! Il a compris qu'il a
passé sept cents ans dans le palais de la déesse Otohimé, et que ces sept
cents ans lui ont semblé sept jours...
[Illustration: Taro tomba mort sur la plage]

Une profonde tristesse envahit son âme. Il quitte ce village inhospitalier,
qui n'est plus le sien, et où il n'a personne. Tout pensif, il se rend à la
grève. Instinctivement, ses regards cherchent à apercevoir la tortue: car
il voudrait bien maintenant retourner au palais... Mais la tortue a
disparu, probablement pour toujours...
Taro s'assied sur le sable, et verse des larmes brûlantes. Tout à coup,
ses yeux se portent sur la boîte, la boîte mystérieuse qu'Otohimé lui a
donnée au départ, et à laquelle, dans son trouble, il n'avait plus songé.
--Que contient cette boîte?... La déesse m'a dit, en me la remettant: le
jour où, par une curiosité coupable, vous ouvrirez cette boîte, vous êtes
un homme mort... Une déesse ne ment point... et pourtant, qui sait?...
Peut-être est-ce pour m'éprouver qu'elle m'a dit cela!... Peut-être cette
boîte contient-elle mon bonheur!... Et puis, après tout, que m'importe la
mort, à cette heure?... Ne suis-je pas seul au monde, sans parents, sans
amis, sans connaissances, sans fortune?... Oui, mieux vaut cent fois la
mort, qu'une existence aussi malheureuse!...
Ainsi pense Taro. Alors, d'un mouvement nerveux, il entr'ouvre la boîte.
Il en sort un nuage épais, qui l'enveloppe des pieds à la tête. Soudain,
ses cheveux deviennent blancs comme la neige, son front se ride, ses
membres se dessèchent et il tombe mort sur la plage.
Le lendemain, des pêcheurs découvrirent sur la grève le corps d'un
homme qui avait vécu sept cents ans...

La petite Voleuse
Mademoiselle Aki était une jeune fille de dix-sept ans. Ses parents
l'avaient gâtée. Comme toutes les jeunes filles qui sont gâtées par leurs
parents, elle était vaniteuse, capricieuse et méchante. Elle avait un très
vilain défaut. Aki était voleuse. Elle volait partout, elle volait toujours,
elle volait tant qu'elle pouvait. Et, chose assez curieuse, elle ne se
faisait jamais prendre. La coquine était d'une habileté rare. Du reste,
vous allez en juger.

Un beau matin, elle prend un panier, le remplit de poissons, et quitte la
maison, sans rien dire. Ses parents lui donnant malheureusement toute
liberté de suivre ses caprices, et ne s'informant jamais de ses allées et
venues, la laissent sortir, sans même lui demander où elle va avec ce
panier.
Aki longe un moment la rue, tourne à droite, traverse une longue place,
enfile une vaste avenue et arrive devant une maison d'apparence
bourgeoise. C'est là que demeure le très honorable et très distingué
ministre Sanjo.
La jeune fille entre par la porte cochère, traverse la cour, comme une
habituée de la maison, tourne sur la gauche et se dirige vers la cuisine.
Mme Osandon, la digne et replète cuisinière de M. le ministre, est en
train de préparer le déjeuner de son maître.
[Illustration: Le ministre faisait sa toilette]
--Bonjour, Madame Osandon, lui dit Aki en la saluant, je suis la fille de
M. Takeyoshi, le marchand de soieries qui habite la rue de Hongo. Hier
soir, votre maître a rendu à mon père un service important. Et mon père
m'envoie le remercier en son nom, en attendant qu'il se présente
lui-même. Il m'a chargé de remettre à M. le ministre ce panier de
poissons. Quoique ce soit peu de chose, veuillez prier votre maître de
l'accepter comme un faible témoignage de notre reconnaissance.
La brave cuisinière n'a aucun motif de mettre en doute la sincérité de
cette jeune fille. Elle accepte le panier, va trouver le ministre qui faisait
sa toilette, et lui répète les paroles d'Aki.
Le ministre, après avoir écouté, réfléchit un instant, puis il répond:
--Je ne connais personne du nom de Takeyoshi; j'ignore s'il y a un
marchand de soieries de ce nom dans la rue de Hongo; je n'ai pas
souvenance d'avoir rendu hier soir un service quelconque à qui que ce
soit. La chose m'eût été difficile, vu que je ne suis pas sorti hier de
toute la journée. Il y a là une erreur; cette jeune fille se trompe
d'adresse; reporte-lui son panier.

Pendant que se tenait ce petit bout de conversation dans la chambre du
ministre Mlle Aki, restée seule à la cuisine, avait jeté un coup d'oeil sur
les étagères; elle avait aperçu une petite tasse de valeur, et très
délicatement, l'avait glissée dans les profondeurs de sa manche. Mais,
cela étant en dehors du programme, et n'étant arrivé que par hasard, ne
nous y arrêtons pas, et continuons.
Mme Osandon redescend donc à la cuisine,
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