Fables et légendes du Japon | Page 3

Claudius Ferrand
le conduisit voir les diverses
parties de son palais.
[Illustration: Taro fit un repas comme il n'en avait jamais fait depuis
qu'il était au monde]
Le pêcheur marchait de surprise en surprise, d'éblouissement en
éblouissement. Mais ce qui le frappa le plus, et mit le comble à son
admiration, ce fut le jardin. Il y avait là quatre parterres immenses;
chacun représentait l'une des quatre saisons de l'année.
A l'est, c'était le parterre du printemps: d'innombrables pruniers et
cerisiers en fleurs s'élevaient au-dessus d'un verdoyant gazon; de
nombreux rossignols y modulaient leurs délicieuses romances; des
alouettes y faisaient leur nid.
Au sud s'étendait le parterre de l'été: là, des pommiers et des poiriers,
dont les branches pliaient sous le poids de leurs fruits. Des cigales y
remplissaient l'air de leurs cris assourdissants et monotones. Il y régnait
une grande chaleur, tempérée par un doux zéphyr.
L'automne était représenté par le parterre de l'ouest. Le sol y était
couvert de feuilles jaunissantes et de bouquets de chrysanthèmes. Enfin,
le parterre de l'hiver était au nord: c'était un immense tapis de neige,
entourant un étang de glace...

Taro passa sept jours dans ce palais enchanteur. Fasciné par toutes les
merveilles qui s'offraient à ses regards, charmé de la bonté que lui
témoignait la déesse, et du bien-être qu'il éprouvait auprès d'elle, il
avait oublié son village; il ne songeait plus à son vieux père, à sa
femme, à ses enfants, à sa barque, à ses filets.
Un jour pourtant il s'en souvint, et la tristesse le prit.
--Que doit penser mon père, se dit-il, d'une si longue absence?
Combien ma femme et mes enfants doivent être inquiets, et attendre
mon retour! Ils me croient peut-être mort, englouti au fond de l'Océan!
Et ma barque, qu'est-elle devenue? Et mes filets?...
Alors, Taro résolut de partir. Il en parla à la déesse. Celle-ci essaya bien
de le retenir encore, mais toutes ses instances demeurèrent
infructueuses. Ce voyant, la belle Otohimé le prit à part dans sa
chambre secrète et, tirant du fond d'un coffre une petite boîte en laque,
elle la lui donna, en disant:
--Puisqu'à tout prix vous voulez partir, Monsieur Ourashima, je ne vous
retiens plus. Tenez! Emportez cette boîte, comme souvenir de moi et de
votre séjour ici. Mais promettez-moi que, quoiqu'il arrive, vous ne
l'ouvrirez jamais. Monsieur, retenez bien mes paroles: le jour où,
cédant à une curiosité coupable, vous ouvrirez cette boîte, vous êtes un
homme mort.
Taro accepta le présent avec beaucoup de reconnaissance. Il promit que
jamais il n'ouvrirait la boîte, quoiqu'il puisse arriver. Puis la déesse
l'embrassa sur le front, elle l'accompagna jusqu'au seuil de sa porte, et
ils se séparèrent. Le pêcheur remonta sur le dos de la tortue, et celle-ci
le ramena au rivage...
Taro est de retour. Mais, comme tout a changé pendant son absence!
Les arbres qui se trouvent à l'entrée du bourg ne sont plus ceux qu'il
était habitué à y voir. Le village s'est agrandi; il y a des maisons
nouvelles, des maisons comme il n'en a jamais vu de sa vie. Quel n'est
pas son étonnement de ne plus retrouver aucune de ses connaissances!
Tous les visages qu'il rencontre lui sont entièrement inconnus!

Ne comprenant plus rien à cette soudaine métamorphose des hommes
et des choses, Taro ne sait que penser ni que croire. Il lui tarde de
retrouver son père, sa femme et ses enfants, pour apprendre de leur
bouche le pourquoi de ce qui l'étonne. Il se dirige vers sa demeure. Là,
sa surprise redouble. C'est bien cette maison qu'il a quittée, il y a sept
jours. Mais elle tombe en ruines. Il s'approche et jette un coup d'oeil à
l'intérieur. Il n'y voit aucun des objets qui lui étaient familiers. Il n'y
retrouve ni son père, ni sa femme, ni ses enfants.
Sur la natte, un vieillard est assis, les bras appuyés sur le bord du
brasero, mais ce vieillard n'est pas son père! Taro va défaillir sous le
poids d'une émotion trop forte. Il se contient pourtant encore.
--Bon vieillard, demande-t-il d'une voix étouffée, il y a sept jours que
j'ai quitté ce village. Tout y a changé depuis. Cette maison est à moi, et
je vous y trouve, vous, un inconnu. Où sont donc mon vieux père, ma
femme et mes enfants, que j'ai laissés ici?
--Jeune homme, répond le vieillard, qui croit avoir à faire à un fou, je
ne sais ce que vous voulez dire. Qui êtes-vous donc? Quel est votre
nom?
--Je suis Ourashima Taro, le pêcheur.
--Ourashima Taro! s'écrie le vieillard au comble de la surprise, mais
alors, vous êtes... un fantôme... un revenant... une ombre!... J'ai souvent,
en effet, entendu parler d'un certain Ourashima Taro. Mais, voilà bien
longtemps qu'il n'est plus de ce monde. Il y a sept cents ans
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