Fables de La Fontaine | Page 4

Jean de La Fontaine
mon villageois
s'apprête,
La fourmi le pique au talon.
Le vilain retourne la tête:

La colombe l'entend, part et tire de long.
Le soupé du croquant avec
elle s'envole:
Point de pigeon pour une obole.
L'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits
Un astrologue un jour se laissa choir
Au fond d'un puits. On lui dit:

«Pauvre bête,
Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu
lire au-dessus de ta tête?»
Cette aventure en soi, sans aller plus avant,

Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens
sur la terre nous sommes
Il en est peu qui fort souvent
Ne se
plaisent d'entendre dire
Qu'au livre du destin les mortels peuvent lire.

Mais ce livre, qu'Homère et les siens ont chanté,
Qu'est-ce, que le
hasard parmi l'antiquité,
Et parmi nous la providence?
Or, du hasard,
il n'est point de science:
S'il en était, on aurait tort
De l'appeler
hasard, ni fortune, ni sort,
Toutes choses très incertaines.
Quant aux
volontés souveraines
De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,

Qui les sait, que lui seul? Comment lire en son sein?
Aurait-il
imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme
dans ses voiles?
A quelle utilité? Pour exercer l'esprit
De ceux qui
de la sphère et du globe ont écrit?
Pour nous faire éviter des maux
inévitables?
Nous rendre, dans les biens, de plaisir incapable?
Et,
causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux
devant qu'ils soient venus?
C'est erreur, ou plutôt, c'est crime de le
croire.
Le firmament se meut, les astres font leur cours,
Le soleil
nous fuit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l'ombre
noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la
nécessité de luire et d'éclairer,
D'amener les saisons, de mûrir les
semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en
quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont
marche l'univers?
Charlatans, faiseurs d'horoscopes,
Quittez les
cours des princes de l'Europe;
Emmenez avec vous les souffleurs tout
d'un temps:

Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop: revenons à l'histoire
De ce spéculateur qui
fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C'est
l'image de ceux qui baillent aux chimères,
Cependant qu'ils sont en
danger,
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.
Le Lièvre et les Grenouilles

Un lièvre en son gîte songeait
(Car que faire en un gîte, à moins que
l'on ne songe?);
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait:
Cet animal est triste, et
la crainte le ronge.
«Les gens de naturel peureux
Sont, disait-il, bien
malheureux;
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite,

Jamais un plaisir pur, toujours assauts divers.
Voilà comme je vis:
cette crainte maudite
M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.

Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Et la peur se corrige-t-elle?

Je crois même qu'en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi»

Ainsi raisonnait notre lièvre,
Et cependant faisait le guet.
Il était
douteux, inquiet:
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la
fièvre. Le mélancolique animal,
En rêvant à cette matière,
Entend
un léger bruit: ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa tanière.
Il
s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter
dans les ondes,
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.

«Oh! dit-il, j'en fais faire autant
Qu'on m'en fait faire! Ma présence

Effraye aussi les gens, je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient
cette vaillance?
Comment! des animaux qui tremblent devant moi!

Je suis donc un foudre de guerre?
Il n'est, je le vois bien, si poltron
sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.»
Le Coq et le Renard
Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et
matois.
«Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes
plus en querelle:
Paix générale cette fois.
Je viens te l'annoncer,
descends, que je t'embrasse.
Ne me retarde point, de grâce;
Je dois
faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez
vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires;
Nous vous y servirons en
frères.

Faites en les feux dès ce soir,
Et cependant, viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.
--Ami, reprit le coq, je ne pouvais
jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle

De cette paix;
Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi. Je vois

deux lévriers,
Qui, je m'assure, sont courriers
Que pour ce sujet on
m'envoie.
Ils vont vite et seront dans un moment à nous
Je descends:
nous pourrons nous entre-baiser tous.
--Adieu, dit le renard, ma traite
est longue à faire,
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une
autre fois.» Le galand aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal
content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à
rire de sa peur;
Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.
Le Corbeau voulant imiter l'Aigle
L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un corbeau, témoin de
l'affaire,
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En
voulant sur l'heure autant faire.
Il tourne à l'entour du troupeau,

Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai mouton
de sacrifice:
On l'avait réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard
corbeau disait, en le couvant des yeux:
«Je ne sais qui fut ta nourrice;

Mais ton corps me paraît
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