Fables de La Fontaine | Page 3

Jean de La Fontaine
dormit de plus
de six mois.
L'oiseau qui porte Ganymède
Du monarque des dieux
enfin implore l'aide,
Dépose en son giron ses oeufs, et croit qu'en paix

Ils seront dans ce lieu; que, pour ses intérêts,
Jupiter se verra
contraint de les défendre:
Hardi qui les irait là prendre.
Aussi ne les
y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,
Sur la robe du dieu fit
tomber une crotte;
Le dieu la secouant jeta les oeufs à bas.
Quand
l'aigle sut l'inadvertance,
Elle menaça Jupiter
D'abandonner sa cour,
d'aller vivre au désert,
De quitter toute dépendance,
Avec mainte
autre extravagance.
Le pauvre Jupiter se tut:
Devant son tribunal
l'escarbot comparut,
Fit sa plainte et conta l'affaire.
On fit entendre
à l'aigle enfin qu'elle avait tort.
Mais, les deux ennemis ne voulant
point d'accord,
Le monarque des dieux s'avisa, pour bien faire,
De
transporter le temps où l'aigle fait l'amour
En une autre saison, quand
la race escarbote
Est en quartier d'hiver, et comme la marmotte,
Se
cache et ne voit point le jour.
Le Lion et le Moucheron
«Va-t-en, chétif insecte, excrément de la terre»:
C'est en ces mots que
le Lion
Parlait un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.

«Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur, ni me
soucie?
Un boeuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma
fantaisie.»
A peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la
charge,
Fut la trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;

Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque
fou.

Le quadrupède écume, et son oeil étincelle;
Il rugit; on se
cache, on tremble à l'environ:
Et cette alarme universelle
Est
l'ouvrage d'un moucheron.
Un avorton de mouche en cent lieux le
harcelle:
Tantôt pique l'échine et tantôt le museau.
Tantôt entre au
fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.

L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en
la bête irritée
Qui de la mettre en sang lui fasse son devoir.
Le

malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à
l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais, et sa fureur
extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà sur les dents.
L'insecte du
combat se retire avec gloire:
Comme il sonna la charge, il sonne la
victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade
d'une araignée;
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée?
J'en vois deux dont
l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les
plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui
périt pour la moindre affaire.
L'Âne chargé d'éponges et l'Âne chargé de sel
Un ânier, son sceptre à la main,
Menait, en empereur romain,
Deux
coursiers à longues oreilles.
L'un, d'éponges chargé, marchait comme
un courrier;
Et l'autre, se faisant prier,
Portait, comme on dit, les
bouteilles:
Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins
Par monts,
par vaux et par chemins,
Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,
Et
fort empêchés se trouvèrent.
L'ânier, qui tous les jours traversait ce
gué là,
Sur l'âne à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,

Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint
sur l'eau, puis échappa;
Car au bout de quelques nagées,
Tout son
sel se fondit si bien
Que le baudet ne sentit rien
Sur ses épaules
soulagées.
Camarade épongier prit exemple sur lui,
Comme un
mouton qui va devant dessus la foi d'autrui.
Voilà mon âne à l'eau;
jusqu'au col il se plonge,
Lui le conducteur et l'éponge.
Tous trois
burent d'autant: l'ânier et le grison
Firent à l'éponge raison.
Celle-ci
devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,
Que l'âne
succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassait, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.
Quelqu'un vint au secours: qui ce
fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point

Agir chacun de même sorte.
J'en voulais venir à ce point.

Le Lion et le Rat
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde:
On a souvent besoin
d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la
chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un lion
Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le
roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était et lui donna
la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru

Qu'un lion d'un rat eût affaire?
Cependant il advint qu'au sortir des
forêts
Ce lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le
purent défaire.
Sire rat accourut et fit tant par ses dents
Qu'une
maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
La Colombe et la Fourmi
L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits.
Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe,
Quand sur l'eau se
penchant une fourmi y tombe,
Et dans cet océan l'on eût vu la fourmi

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt
usa de charité:
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut
un promontoire où la fourmi arrive.
Elle se sauve; et là-dessus

Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus.
Ce croquant, par
hasard, avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus,
Il le
croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer
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