Fables de La Fontaine | Page 5

Jean de La Fontaine
en merveilleux état:
Tu me serviras de
pâture»
Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat.
La moutonnière
créature
Pesait plus qu'un fromage, outre que sa toison
Était d'une
épaisseur extrême,
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la
barbe de Polyphème.
Elle empêtra si bien les serres du corbeau,

Que le pauvre animal ne put faire retraite.
Le berger vient, le prend,
l'encage et beau
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.
Il
faut se mesurer; la conséquence est nette:
Mal prend aux volereaux de
faire les voleurs.
L'exemple est un dangereux leurre:
Tous les
mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs;
Où la guêpe a passé,
le moucheron demeure.
Le Paon se plaignant à Junon
Le paon se plaignait à Junon.

«Déesse, disait-il, ce n'est pas sans
raison
Que je me plains, que je murmure:
Le chant dont vous
m'avez fait don
Déplaît à toute la nature;
Au lieu qu'un rossignol,
chétive créature,
Forme ses sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui

seul l'honneur du printemps.»
Junon répondit en colère:
«Oiseau
jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,

Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc en ciel nué de
cent sortes de soies,
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue,
et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire?
Est-il quelque
oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire?
Tout animal n'a
pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités:
Les
uns ont la grandeur et la force en partage;
Le faucon est léger, l'aigle
plein de courage;
Le corbeau sert pour le présage;
La corneille
avertit des malheurs à venir;
Tous sont contents de leur ramage.

Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir,
Je t'ôterai ton
plumage.»
La Chatte métamorphosée en Femme
Un homme chérissait éperdument sa chatte;
Il la trouvait mignonne,
et belle, et délicate,
Qui miaulait d'un ton fort doux:
Il était plus ou
que les fous.
Cet homme donc, par prières, par larmes,
Par
sortilèges et par charmes,
Fait tant qu'il obtient du destin
Que sa
chatte, en un beau matin,
Devient femme; et, le matin même,

Maître sot en fait sa moitié.
Le voilà fou d'amour extrême,
De fou
qu'il était d'amitié.
Jamais la dame la plus belle
Ne charma tant son
favori
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il
n'y trouve plus rien de chatte.
Un soir quelques souris qui rongeaient
de la natte
Troublèrent le repos des nouveaux mariés.
Aussitôt la
femme est sur pieds.
Elle manqua son aventure.
Souris de revenir,
femme d'être en posture:
Pour cette fois, elle accourut à point;
Ce
lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.
Il se moque
de tout, certain âge accompli.
Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son
pli.
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer:

Quelque chose qu'on puisse faire,
On ne saurait le réformer.
Coups
de fourche ni d'étrivières
Ne lui font changer de manière;
Et
fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n'en serez les maîtres.
Qu'on

lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.
Le Lion et l'Âne chassant
Le roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer: il célébrait sa
fête.
Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,
Mais beaux et bons
sangliers, daims et cerfs bons et beaux. Pour réussir dans cette affaire,

Il se servit du ministère
De l'âne à la voix de Stentor.
L'âne à
Messer lion fit office de cor.
Le lion le posta, le couvrit de ramée,

Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés
fuiraient de leur maison.
Leur troupe n'était pas encore accoutumée

A la tempête de sa voix;
L'air en retentissait d'un bruit épouvantable:

La frayeur saisissait les hôtes de ces bois,
Tous fuyaient, tous
tombaient au piège inévitable
Où les attendait le lion.
«N'ai-je pas
bien servi dans cette occasion?
Dit l'âne en se donnant tout l'honneur
de la chasse.
--Oui, reprit le lion, c'est bravement crié:
Si je ne
connaissais ta personne et ta race,
J'en serais moi-même effrayé.»

L'âne, s'il eût osé, se fut mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec
juste raison;
Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron?
Ce n'est pas
là leur caractère.
Testament expliqué par Ésope
Si ce qu'on dit d'Ésope est vrai,
C'était l'oracle de la Grèce:
Lui seul
avait plus de sagesse
Que tout l'Aréopage. En voici pour essai
Une
histoire des plus gentilles
Et qui pourra plaire au lecteur.
Un certain homme avait trois filles,
Toutes trois de contraire humeur:

Une buveuse, une coquette,
La troisième, avare parfaite.
Cet
homme, par son testament,
Selon les lois municipales,
Leur laissa
tout son bien par portions égales,
Et donnant à leur mère tant,

Payable quand chacune d'elles
Ne posséderait plus sa contingente part.

Le père mort, les trois femelles

Courent au testament, sans attendre
plus tard.
On le lit, on tâche d'entendre
La volonté du testateur;


Mais en vain; car comment comprendre
Qu'aussitôt que chacune
soeur
Ne possédera plus sa part héréditaire,
Il lui faudra payer sa
mère?
Ce n'est pas un fort bon moyen
Pour payer, que d'être sans
bien.
Que voulait donc dire le père?
L'affaire est consultée, et tous
les avocats,
Après avoir tourné le cas
En cent et cent mille manières,

Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus,
Et conseillent aux
héritières
De partager le bien sans songer au surplus.
«Quant à la
somme de la veuve,
Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve:

Il faut que chaque soeur se
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