F. Chopin | Page 8

Franz Liszt
la loi d'une fatalit�� providentielle, il se laisse traduire alors par, ?regret inconsolable apr��s une perte irr��vocable?. Mais, sit?t qu'il s'adresse �� l'homme et que son r��gime devient indirect, en affectant une pr��position qui le dirige vers celui-ci ou celle-l��, il change aussit?t de physionomie et n'a plus de synonyme ni dans le groupe des idiomes latins, ni dans celui des idiomes germains.--D'un sentiment plus ��lev��, plus noble, plus large que le mot ?grief?, il signifie pourtant le ferment de la rancune, la r��volte des reproches, la pr��m��ditation de la vengeance, la menace implacable grondant au fond du coeur, soit en ��piant la revanche, soit en s'alimentant d'une st��rile amertume! Oui vraiment, le Zal! colore toujours d'un reflet tant?t argent��, tant?t ardent, tout le faisceau des ouvrages de Chopin. Il n'est m��me pas absent de ses plus douces r��veries.
Ces impressions ont eu d'autant plus d'importance dans la vie de Chopin, qu'elles se sont manifest��es sensiblement dans ses derniers ouvrages. Elles ont peu �� peu atteint une sorte d'irascibilit�� maladive, arriv��e au point d'un tremblement f��brile. Celui-ci se r��v��le dans quelques-uns de ses derniers ��crits par un contournement de sa pens��e, qu'on est parfois plus pein�� que surpris d'y rencontrer.--Suffoquant presque sous l'oppression de ses violences r��prim��es, ne se servant plus de l'art que pour se donner �� lui-m��me sa propre trag��die, apr��s avoir d'abord chant�� son sentiment, il se prit �� le d��pecer. On retrouve dans les feuilles qu'il a publi��es sous ces influences quelque chose des ��motions alambiqu��es de Jean-Paul, auquel il fallait les surprises caus��es par les ph��nom��nes de la nature et de la physique, les sensations d'effroi voluptueux dues �� des accidents impr��voyables dans l'ordre naturel des choses, les morbides surexcitations d'un cerveau hallucin��, pour remuer un coeur mac��r�� de passions et blas�� sur la souffrance.
La m��lodie de Chopin devient alors tourment��e; une sensibilit�� nerveuse et inqui��te am��ne un remaniement de motifs d'une persistance acharn��e, p��nible comme le spectacle des tortures que causent ces maladies de l'ame ou du corps qui n'ont que la mort pour rem��de. Chopin ��tait en proie �� un de ces mals qui, empirant d'ann��e en ann��e, l'a enlev�� jeune encore. Dans les productions dont nous parlons, on retrouve les traces des douleurs aigu?s qui le d��voraient, comme on trouverait dans un beau corps celles des griffes d'un oiseau de proie. Ces oeuvres cessent-elles pour cela d'��tre belles? L'��motion qui les inspire, les formes qu'elles prennent pour s'exprimer, cessent-elles d'appartenir au domaine du grand art?--Non.--Cette ��motion ��tant d'une pure et chaste noblesse dans ses regrets navrants et son irr��m��diable d��solation, appartient aux plus sublimes motifs du coeur humain; son expression demeure toujours dans les vraies limites du langage de l'art, n'ayant jamais ni une vell��it�� vulgaire, ni un cri outr�� et th��atral, ni une contorsion laide. Du point de vue technique l'on ne saurait nier non plus que loin d'��tre diminu��e, la qualit�� de l'��toffe harmonique n'en devient que plus int��ressante par elle-m��me, plus curieuse �� ��tudier.

II.
Du reste, les tonalit��s de sentiment qui d��c��lent une souffrance subtile et des chagrins d'un raffinement peu commun, ne se rencontrent point dans les pi��ces plus connues et plus habituellement go?t��es de l'artiste qui nous occupe. Ses Polonaises qui, �� cause des difficult��s qu'elles pr��sentent, sont plus rarement ex��cut��es encore qu'elles ne le m��ritent, appartiennent �� ses plus belles inspirations. Elles ne rappellent nullement les Polonaises mignardes et fard��es �� la Pompadour, telles que les ont propag��es les orchestres de bals, les virtuoses de concerts, le r��pertoire rebattu de la musique mani��r��e et affadie des salons.
Les rhythmes ��nergiques des Polonaises de Chopin font tressaillir et galvanisent toutes les torpeurs de nos indiff��rences. Les plus nobles sentiments traditionnels de l'ancienne Pologne y sont recueillis. Martiales pour la plupart, la bravoure et la valeur y sont rendues avec la simplicit�� d'accent qui faisait chez cette nation guerri��re le trait distinctif de ces qualit��s. Elles respirent une force calme et r��fl��chie, un sentiment de ferme d��termination joint �� une gravit�� c��r��monieuse qui, dit-on, ��tait l'apanage de ses grands hommes d'autrefois. L'on croit y revoir les antiques Polonais, tels que nous les d��peignent leurs chroniques; d'une organisation massive, d'une intelligence d��li��e, d'une pi��t�� profonde et touchante quoique sens��e, d'un courage indomptable, m��l�� �� une galanterie qui n'abandonne les enfants de la Pologne ni sur le champ de bataille, ni la veille, ni le lendemain du combat. Cette galanterie ��tait tellement inh��rente �� leur nature, que malgr�� la compression que des habitudes rapproch��es de celles de leurs voisins et ennemis, les infid��les de Stamboul, leur faisaient exercer jadis sur les femmes, en les refoulant dans la vie domestique et en les tenant toujours �� l'ombre d'une tutelle l��gale, elle a su n��anmoins glorifier et immortaliser dans leurs annales des reines qui furent des saintes, des vassales qui devinrent des reines, de belles
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