Fêtes et coutumes populaires | Page 8

Charles le Goffic
pointe, donnent d'une voix hachée des ordres pour
balayer tout. Mais, peu à peu, les rangs des agents s'entr'ouvrent. La
foule se glisse et se répand dans l'ombre. Tout à coup, rauque, forcenée,
monstrueuse, s'élève cette clameur: Prosit Neujahr! «Que la nouvelle
année soit bonne!» De la rue et des maisons, les cris aigus des femmes,
les piaulements des enfants, se mêlent aux vociférations des hommes.
Bonne année, soit! mais qui vous arrive en vous déchirant les oreilles.»
Combien différent notre premier de l'An parisien, surtout le premier de
l'An tel qu'on le célèbre encore dans nos vieilles provinces françaises!
Voici venir, devançant Noël, les petits quêteurs d'étrennes. Au soir
tombant, la veille du 1er janvier, dans les villages d'Alsace, ils s'arrêtent
devant chaque porte pour chanter une complainte qui commence ainsi:
Nous souhaitons tous à Madame L'or d'une couronne d'amour, Et, pour
l'an prochain, jour pour jour, Le jeune héritier qu'on réclame. À
Monsieur, qui déjà sourit, Nous souhaitons meilleure chère, etc., etc.
En Poitou et en Saintonge, la complainte se chante sur l'air de l'Aguilé,
plus spécial cependant au jour des Rois[3]:
[Note 3: Voir sur le sens du mot aguilé le chapitre Noëls de France.]
Messieurs et Mesdames de cette maison, Ouvrez-nous la porte, nous
vous saluerons. Notre guillaneu nous vous demandons... Guiettez dans
la nappe, guiettez tout au long. Donnez-nous la miche et gardez l'grison:
Notre guillaneu nous vous demandons.

* * * * *
Arribas! Son arribas! (Arrivés, nous sommes arrivés!) crient les
étrenneurs du Limousin devant chaque maison où ils frappent, et ils
continuent dans leur patois, que M. d'Aigueperse traduit ainsi: «Le
guillaneu nous faut donner, gentil maître; le guillaneu donnez-le-nous.»
Le guillaneu limousin consiste en pommes, poires, châtaignes, noix,
noisettes et menus sous. Une fois pourvus, les étrenneurs font mille
voeux pour leur hôte sans oublier ses serviteurs, la ménagère qui blute
la farine, le porcher qui garnit le charnier de lard, etc., etc.
À Saint-Malo, les étrenneurs remplacent la sérénade par une aubade, la
tournée crépusculaire par une tournée matinale. Il faut voir, dès la fine
pointe du jour, les petits gamins de la vieille cité bretonne se former en
bandes pour courir la ville, cogner aux portes et souhaiter la bonne
année! Chaque souhait leur vaut un petit sou. Au premier marmot qui
se présente, les jeunes filles demandent:
«Comment se nomme-t'il?»
Il, c'est le fiancé rêvé dont on espère la venue. Le gamin cite un nom de
baptême au hasard, et les jeunes Malouines n'ont plus qu'à chercher,
parmi les jeunes gens qu'elles connaissent, celui qui porte le prénom
désigné.
D'autres croyances, d'autres superstitions, si l'on veut, mais si
gracieuses, si émouvantes quelquefois, mériteraient encore d'être tirées
de l'oubli où elles sombrent peu à peu. Il en est aussi dont le sens s'est
perdu en chemin et qui nous paraissent à cette heure passablement
singulières. C'est ainsi qu'en Champagne et en Bourgogne, on croit que
l'année sera bonne si la première personne qu'on rencontre le matin du
jour de l'An est un homme, mauvaise si c'est une femme. Et voilà qui
n'est guère flatteur pour le «beau sexe»!
Au Havre, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, il y a toujours
grande affluence du public devant le portail de l'église Notre-Dame. La
tradition locale prétend qu'il suffit de s'agenouiller sous la statue de la
Vierge et de lui demander trois grâces à minuit tintant pour que l'une

d'elles soit exaucée. Les gamins, comme on peut croire, ne manquent
pas dans l'assistance et, au moment où l'heure sonne, on les entend crier
irrespectueusement à tue-tête:
«L'aura! L'aura pas!»
D'autres traditions, répandues un peu partout, veulent qu'au premier de
l'An, à votre lever, si vous avez eu la chance de briser sans le vouloir
ou tout au moins de fêler un verre dans lequel on n'a pas encore bu, ce
soit pour vous le pronostic d'une année heureuse. En déjeunant, si un
choc involontaire répand votre boisson sur la nappe, cette libation
fortuite vous promet encore une année de prospérité. Il faut aussi avoir
soin, ce jour-là, de ne rien laisser sortir de sa maison, ni provisions, ni
cadeaux, avant d'avoir reçu quelque chose d'un voisin. Néanmoins, si
ce voisin est une voisine, il reste quelque doute sur l'efficacité de la
bonne chance.
«Qu'y ét-y qu'elle me veut donc, c'telle-là? Y étot ben la pouène qu'elle
veune la première?» disent les paysans.
On prétend enfin que le matin du jour de l'An, si vous réussissez à
glisser votre aumône dans la sébile ou le chapeau d'un pauvre avant
qu'il vous ait demandé la charité, il n'y aura pour vous, durant l'année
qui s'ouvre, que joie, santé, richesse, satisfactions matérielles et
morales de toute sorte.
Et donc voilà mes lecteurs prévenus. Je leur ai donné, d'après les vieux
fatuaires du pays de
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