Fêtes et coutumes populaires | Page 9

Charles le Goffic
France, les recettes les plus efficaces pour acheter
à peu de frais une année pleine de bonheur. Recettes S. G. D. G., bien
entendu. La première condition pour qu'elles réussissent, c'est d'avoir la
foi. Qu'ils tâchent de l'acquérir, s'ils ne l'ont déjà. «La croyance dans le
bonheur à venir, a dit un philosophe, c'est plus que la moitié du
bonheur présent.»

Les Rois.
Tout au commencement du siècle, un savant astronome de

l'Observatoire d'Édimbourg, le docteur Andersen, découvrit dans le ciel
une nouvelle étoile qu'on n'avait point signalée encore, qui se mit à
grossir peu à peu jusqu'aux proportions d'une constellation de la
deuxième grandeur, puis s'enfonça dans les espaces et s'y évanouit
insensiblement. Le professeur Anderson pensait n'avoir affaire qu'à un
vulgaire satellite de Persée.
«Erreur! s'écria le professeur Tuttle, de Newhaven. J'ai observé aussi
celle que vous nommez une Perséïde et que vous prétendez n'être
jamais apparue aux hommes. Erreur, six fois erreur! Vous dis-je. Mes
calculs m'ont permis de retrouver dans l'éphémère visiteuse une vieille
connaissance de nos pères, l'étoile même qui guida vers Bethléem les
mages de la Chaldée, qui reparut en 316, en 633, en 950, en 1267, et
que Tycho-Brahé, pour la dernière fois, observa en 1584. L'intervalle
requis pour la réapparition périodique de l'étoile est de 317 ans. Ajoutez
317 à 1584, vous obtiendrez 1901. Ce qu'il fallait démontrer...»
Qui avait raison, du professeur Tuttle ou du professeur Anderson? Et,
tout de même, si ç'avait été M. Tuttle! S'il était vrai que nos regards,
après vingt siècles écoulés, eussent pu contempler cette douce
annonciatrice des temps nouveaux! Comme nous l'eussions avidement
cherchée dans le ciel, pieusement saluée entre toutes ses soeurs! Mais
M. Tuttle ne nous a communiqué sa découverte qu'après coup et quand
l'étoile des mages s'était évanouie. Légende ou vérité, nous ne saurons
jamais ce qu'il en fallait penser exactement...
C'est en commémoration de cette apparition de l'étoile aux rois mages,
Balthazar, Melchior et Gaspard, et de la visite qui s'ensuivit aux lieux
solennisés par la naissance de Jésus, que l'Église a institué la fête de
l'Épiphanie, ainsi nommée des deux mots grecs: épi (sur) et phanéiä
(révélation). Dans le langage courant on l'appelle la Fête des Rois, et
vous savez de quelle aimable cérémonie elle est le prétexte aujourd'hui
encore. À table, au dernier service, on apporte une énorme galette dont
les morceaux sont répartis à la ronde entre les convives de tout âge.
Celui qui trouve la fève dans sa part est proclamé roi, et, pour célébrer
cette royauté éphémère, l'assistance se lève en criant: Le Roi boit!...
On a dit de la galette épiphanique qu'elle défiait tous les changements

de régimes et les pires bouleversements sociaux. C'est ainsi qu'en 93 les
pâtissiers de la Révolution ne se laissèrent pas embarrasser par la chute
de la royauté: en guise de galette des rois, ils fabriquèrent seulement
des galettes de la Liberté. De nos jours même, où les vieilles traditions
s'abolissent, les galettes épiphaniques font encore l'objet d'un
commerce lucratif. Mais les pâtissiers n'en ont plus le monopole; les
boulangers en fabriquent également, qu'ils offrent en étrennes à leurs
clients de l'année. Il n'y a qu'une petite modification à la classique
galette de jadis, et c'est que la fève y est remplacée par une poupée de
porcelaine. Je ne sais pas si nous avons beaucoup gagné au change,
mais je sais qu'il est des mâchoires à qui cette substitution n'a pas laissé
de causer certaines disgrâces imprévues. Un boulanger, à qui je faisais
part de mes scrupules, me disait qu'on s'y était décidé pour éviter toute
espèce de fraude: il paraît qu'au temps de la fève certains convives peu
délicats préféraient avaler sans rien dire ce gros légume indigeste et se
dérober aux charges d'une royauté dispendieuse.
[Illustration: LE CORTÈGE DES ROIS MAGES. Fresque de Bennozo
Gazzoli (1420-1498) dans la chapelle du palais Riccardi, à Florence.]
Si telle est la raison véritable du changement, je me demande de quoi se
mêlent les pâtissiers et boulangers. C'est prendre bien souci de nos
intérêts que de substituer, sans que personne l'ait réclamé, à l'innocente
fève de jadis un «petit baigneur» qui craque sous la dent quelquefois,
mais quelquefois aussi disparaît sans dire gare dans notre intestin
menacé par lui d'une fâcheuse appendicite.
Les campagnes, sur ce point, sont restées autrement fidèles à l'usage. Je
vous contais plus haut l'odyssée de ces petits mendiants chanteurs de
Noël qui s'en vont par les routes, en Bretagne, chantant l'Aguilé aux
portes des métairies. L'Épiphanie a aussi sa chanson spéciale. Mais on
ne la chante plus guère, à ma connaissance, que dans l'Orne, la
Seine-Inférieure et les Ardennes: c'est la chanson des Evangueus.
Donnez, donnez la part à Dieu: Nous vous dirons les Evangueus, Les
Evangueus de Notre-Seigneur. Je l'ai vu vif, je l'ai vu meurt (mort),
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 42
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.