de rêves sous
toutes les latitudes. Sans compter que pour quelques-uns,--les
concierges, les facteurs et les petits enfants par exemple,--ces rêves
deviennent au jour de l'an de très appréciables réalités. Sous quelque
forme qu'elles se présentent, bonbons ou pièces d'or, les étrennes sont
toujours pour eux les bienvenues. Peut-être, cependant, y a-t-il un peu
moins d'enthousiasme chez ceux qui les offrent que chez ceux qui les
reçoivent.
L'usage des étrennes nous vient des Romains (les premiers qui aient
sacrifié à la déesse Strenna), et il est général. Un autre usage, non
moins constant, est celui des cartes de visite qu'on envoie au premier de
l'An, agrémentées de quelques mots de politesse ou vierges de toute
mention, aux personnes avec qui l'on a eu commerce d'amitié ou
d'affaires pendant l'année. C'est encore un usage qui nous vient de
l'étranger, non plus de Rome, il est vrai, mais de l'Extrême-Orient. Les
Célestiaux se servaient de cartes de visite bien avant nous; seulement,
chez eux, les cartes étaient de grandes feuilles de papier de riz, dont la
dimension augmentait ou baissait suivant l'importance du destinataire et
au milieu desquelles, avec des encres de plusieurs nuances, on écrivait
les nom, prénoms et qualités de l'envoyeur. Il paraît que, quand la carte
était à l'adresse d'un mandarin de 1re classe, elle avait la dimension
d'un de nos devants de cheminée!
À en croire M. Élie Frébault, la distribution des cartes de visite, à
Stuttgard, dans le Wurtemberg, est le prétexte d'une scène piquante.
Pendant l'après-midi du premier de l'An, sur une place publique, se
tient une sorte de foire ou de bourse aux cartes de visite. Tous les
domestiques de bonne maison et tous les commissionnaires de la ville
s'y donnent rendez-vous, et là, grimpé sur un banc ou sur une table, un
héraut improvisé fait la criée des adresses. À chaque nom proclamé,
une nuée de cartes tombe dans un panier disposé à cet effet, et le
représentant de la personne à laquelle ces cartes sont destinées peut en
quelques minutes emporter son plein contingent. Chacun agit de même,
et, au bout de peu d'instants, des centaines, des milliers de cartes sont
parvenues à leur destination, sans que personne se soit fatigué les
jambes.
Remarquons, d'ailleurs, que l'usage des cartes de visite est apparu assez
tard chez nous. Jusqu'au XVIIe siècle, les visites se rendaient toujours
en personne. On peut noter cependant, comme un acheminement vers
les cartes, l'usage dont nous parle Lemierre dans son poème des Fastes
et qui était courant vers le milieu du grand siècle. À cette époque, des
industriels avaient monté diverses agences, qui, contre la modique
somme de deux sols, mettaient à votre disposition un gentilhomme en
sévère tenue noire, lequel, l'épée au côté, se chargeait d'aller présenter
vos compliments à domicile ou d'inscrire votre nom à la porte du
destinataire. Mais un temps vint où le gentilhomme lui-même fut
remplacé par la carte de visite. Cela se passa sous Louis XIV (dans les
dernières années du règne), comme l'atteste ce sonnet-logogriphe du
bon La Monnoye:
Souvent, quoique léger, je lasse qui me porte; Un mot de ma façon vaut
un ample discours; J'ai sous Louis-le-Grand commencé d'avoir cours,
Mince, long, plat, étroit, d'une étoffe peu forte.
Les doigts les moins savants me traitent de la sorte; Sous mille noms
divers, je parais tous les jours; Aux valets étonnés je suis d'un grand
secours; Le Louvre ne voit pas ma figure à sa porte.
Une grossière main vient la plupart du temps Me prendre de la main
des plus honnêtes gens. Civil, officieux, je suis né pour la ville.
Dans le plus dur hiver, j'ai le dos toujours nu, Et, quoique fort
commode, à peine m'a-t-on vu Qu'aussitôt négligé je deviens inutile.
Inutile, le mot est dur, mais il est la justesse même. Est-ce l'abus qu'on
faisait des cartes de visite qui décida les conventionnels à supprimer le
premier de l'An? Ou fut-ce la vanité des voeux qu'on y déposait?
Toujours est-il qu'abolie en décembre 1791, la coutume du Jour de l'An
ne fut rétablie que six ans après, en 1797. Nos pères conscrits, qui ne
barguignaient pas avec les délinquants, avaient décrété la peine de mort
contre quiconque ferait des visites, même de simples souhaits de jour
de l'An. Le cabinet noir fonctionnait, ce jour-là, pour toutes les
correspondances sans distinction. On ouvrait les lettres à la poste pour
voir si elles ne contenaient pas des compliments.
Et pourquoi cette levée de boucliers contre la plus innocente des
coutumes? Le Moniteur va nous le dire. Il y avait séance à la
Convention. Un député, nommé La Bletterie, escalada tout à coup la
tribune.
«Citoyens, s'écria-t-il, assez d'hypocrisie! Tout le monde sait que le
Jour de l'An est un jour de fausses démonstrations, de frivoles cliquetis
de joues, de fatigantes et avilissantes
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