contre les chiens
hydrophobes. En Béarn, saint Plouradou empêchait les enfants de
pleurer et saint Séquaire donnait le bon vent qui fait sécher le linge. À
Montmartre même, en plein Paris, les ménages mal assortis avaient
recours sans scrupule à l'intervention de saint Raboni, lequel, comme
son nom l'indique, rabonissait les époux acariâtres. Et, sans doute,
quelques-uns de ces saints régionaux ou locaux seraient malaisés à
découvrir dans la liturgie régulière. «Les noms de beaucoup d'iceux,
comme dit le P. Albert le Grand, bien qu'écrits au livre de Vie, ne se
trouvent dans nos martyrologes et calendriers.» Ils n'en sont pas moins
l'objet de la faveur populaire. Ce furent, en leur temps, des personnages
pleins d'ascétisme et de piété. À peine si quatre ou cinq pourraient faire
naître quelques doutes sur l'authenticité des mérites qui leur ont valu la
canonisation spontanée des fidèles. Telle cette sainte Adresse, dont un
hameau de Normandie porte le nom. Une légende un peu
irrévérencieuse ne voudrait-elle pas que, des marins en danger s'étant
mis à invoquer tous les saints du Paradis au lieu de faire tête à la
bourrasque, le patron de la barque tomba sur eux à coups de garcette et,
les forçant à se lever:
«Aux manoeuvres, mauvais chiens! leur cria-t-il. Et, s'il faut à toute
force que vous invoquiez une protection céleste, recourez à sainte
Adresse: il n'y a qu'elle qui vous puisse sauver!»
Et, sainte ou non, Adresse les sauva si bien, en effet, que, de retour
chez eux, ils lui bâtirent une chapelle et donnèrent son nom à leur
hameau...
[Illustration: LA SAINT-CHARLEMAGNE.]
Un autre saint peu canonique, mais cependant plus authentique
qu'Adresse, fut Charlemagne, empereur à la barbe fleurie, promu par
privilège spécial patron des collégiens qui, de temps immémorial,
célébraient sa fête le 28 janvier. Ce jour-là, en souvenir de l'auguste
intérêt qu'il témoignait aux écoliers travailleurs, un banquet réunissait
dans les lycées de Paris, sous la surveillance de leurs maîtres, les élèves
qui s'étaient le plus distingués au cours de l'année précédente. Un doigt
de champagne, au dessert, permettait de toaster à la mémoire du grand
empereur... Mais un ministre vint qui, pour «raisons budgétaires»--ô
économie de bouts de chandelles!--supprima en 1895 le banquet
traditionnel et, du même coup, la Saint-Charlemagne[2].
[Note 2: Ce qu'a défait un ministre, un ministre peut le refaire: la
Saint-Charlemagne a été rétablie.]
C'était une des dernières fêtes «corporatives» de la grand'ville. Il ne lui
reste plus en ce genre que la Sainte-Catherine et la Sainte-Cécile,--la
Sainte-Catherine qui, chaque 25 novembre, met en rumeur le quartier
de l'Opéra, patrie d'élection des petites «midinettes», lesquelles la
célèbrent de la plus simple et de la plus charmante façon du monde en
se promenant bras dessus, bras dessous, coiffées de bonnets en papier,
le long de la rue de la Paix; la Sainte-Cécile, dont la fête, plus
aristocratique, est l'occasion de magnifiques solennités artistiques dans
toutes les églises de Paris. Sainte Cécile jouit d'un enviable privilège:
ce ne sont pas seulement de grands peintres comme Gérard Seghers,
Raphaël, le Dominiquin, Carlo Dolce, qui se sont inspirés de sa vie
dans des tableaux célèbres; Santeuil, Dryden et, plus récemment, M.
Maurice Bouchor, lui ont tressé de beaux vers. Quant aux musiciens, il
n'en est point un qui ne lui ait dédié quelque cantate ou quelque
symphonie. Cette unanimité des artistes et des poètes est bien
significative et donne une physionomie à part, dans la hiérarchie des
bienheureux, à l'exquise martyre chrétienne qui ne marchait dans la vie
qu'accompagnée de lyres invisibles et dont la mort même eut je ne sais
quoi de mélodieux.
Le Jour de l'An.
Encore un an de plus qui s'efface et retombe Dans ce gouffre sans fond
qu'on nomme le passé! Encore un pas que fait le siècle vers sa tombe,
Sur la route où déjà six mille ans ont passé!
Qui donc pousse en avant ce cortège d'années? Qui les emporte ainsi?
Pauvres filles du temps! Elles s'en vont soudain comme des fleurs
fanées Et, mourant en hiver, ne vivent qu'un printemps!
Mais, si vous les couchez dans leur cercueil immense, Vous en créez
aussi de nouvelles, Seigneur; Lorsque l'une est passée, une autre
recommence; L'une meurt aujourd'hui, demain naîtra sa soeur.
Salut à ce berceau! Salut à cette année Qui se lève à son tour sur
l'éternel chemin, Et, vierge encore de mal, et d'espoir couronnée,
Escorte en souriant les pas du genre humain!
L'auteur de ces jolis vers, Émile Trolliet, a raison: il y a toujours un peu
de mélancolie, sans doute, dans nos adieux à l'année qui s'en va; mais
les regards ont tôt fait de se tourner vers celle qui vient et qui, aux plis
mystérieux de sa robe, nous apporte peut-être le bonheur et, en tout cas,
nous en réserve l'illusion. La pauvre âme humaine vit
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