Félix Poutré | Page 5

Louis Frechette
Pas un seul fusil, pas une seule cartouche! . . . Mes amis, nous sommes trompés, vendus, sacrifiés! . . . Où est-il, que je lui dise en face ce qu'il est? . . .
POUTRé--Qui donc?
FéLIX--Le Dr C?té.
BéCHARD--On dit qu'il est parti.
FéLIX--Malédiction! J'arrive trop tard. Comment donc ai-je pu faire pour ne me douter de rien? Oh! Le lache! Il a mis sa peau en s?reté. Ah! si j'eusse été ici, misérable, tu ne serais pas parti comme cela . . .
BéCHARD--Personne ne l'a vu partir . . . On croit qu'il a d? filer avant le jour.
FéLIX--Le tra?tre! . . . écoutez-moi, mes amis, vous allez voir jusqu'où peut aller la perfidie d'un homme! Vous savez toutes les belles promesses qu'il nous avait faites . . . Et bien, après les désastreuses attaques d'Odeltown, je me rendis à Napierville, chez le Dr C?té, et je lui demandai si nous n'allions pas avoir des armes, et surtout des canons. Que voulez que nous fassions, lui dis-je, sans canons, pour déloger cette canaille-là de l'église? Si nous n'avons point d'armes, mieux vaut tout abandonner. Quoiqu'il essayat de faire bonne contenance, je vis bien à son expression embarrassée qu'il n'avait rien de bon à m'apprendre, et je commen?ai à me douter que quelque chose n'allait pas bien. Il me dit de revenir le voir. Je le quittai assez mécontent. Nous allons voir ce que l'on va me dire ce soir, me dis-je à moi-même. Il est temps que ces bêtises-là finissent. Aller se battre contre des murs avec des balles! . . . Mais nous y serions encore dans deux mois . . . Si nous eussions eu seulement deux petits canons! . . . Et dire que depuis plus d'un mois on nous promet des armes! Et qu'au moment critique, il ne nous est pas encore venu un seul fusil . . . Et tous ces braves gens confiants et honnêtes qui sont là compromis par des fous ou des tra?tres! Car enfin, il n'y a pas de milieu; s'ils ont des armes et qu'ils ne les fassent pas venir de suite, c'est une imbécillité qui n'a pas de nom! S'ils n'en ont pas, ces hommes-là nous trahissent donc depuis un mois! S'ils nous avaient dit de suite: nous ne pouvons pas nous procurer des armes, est-ce que vous auriez songé à sortir de chez vous?
PATRIOTES--Non! non!
TOINON--Ben, j'pense pas!
FéLIX--Est-ce que nous sommes obligés de nous faire massacrer par les soldats anglais, ou à danser au bout de la corde d'une potence pour leur bon plaisir?
PATRIOTES--Non! non!
TOINON--Ben, j'pense pas! . . .
FéLIX--Mais voici la fin de l'histoire. Le soir arrivé, je retournai chez le Dr C?té. Je ne pus obtenir l'entrée. Vers neuf heures, je me présentai de nouveau; même résultat. Cela devenait inexplicable. Enfin à 11 heures je partis, déterminé à passer sur le corps de dix hommes, s'il le fallait, pour arriver à lui. A ma grande surprise, j'entrai sans difficulté. ?Mon cher Poutré, me dit C?té, nous venons d'être informés que les troupes du gouvernement se dirigent sur Napierville. Elles sont encore à huit lieues d'ici, et conséquemment elles arriveront demain sur les dix ou onze heures du soir. Ils sont à peu près cinq mille hommes. Pars immédiatement et rends-toi à Lacolle où les armes doivent être arrivées maintenant. Il doit y avoir cinq mille fusils et des munitions. ? Je me donnai bien de garde d'attendre le jour. Je partis aussit?t pour Lacolle, déterminé à remplir ma mission avec honneur. Chemin faisant, je m'arrêtai à chaque maison où j'espérais trouver un cheval et une voiture, et j'ordonnai plut?t que je ne demandai aux gens de me suivre pour aller chercher ces armes si longtemps attendues. Arrivé à Lacolle, je m'informai . . . Rien! . . . La réalité me frappa comme un coup de foudre . . . Rien! . . . Nous étions trahis et C?té avait voulu m'éloigner pour s'évader plus facilement; c'était toujours deux yeux de moins.
BéCHARD--Oh! le scélérat.
POUTRé--Et maintenant qu'allez-vous faire, Félix? Les troupes anglaises qui sont à quelques milles du village . . .
FéLIX--Que voulez-vous que nous fassions contre cinq mille hommes de troupes régulières avec quatre cents mauvais fusils? Ah! si nous en avions une fois des fusils! de vrais fusils de soldat! . . . Mais à quoi sert? Tout est fini, c'est bien clair! . . . Séparons-nous, mes pauvres amis, et que chacun prenne son c?té! Malheur à qui sera pris! . . .
BéCHARD--Tu as raison, Félix; tout est fini pour cette fois. L'heure de la délivrance n'est pas encore sonnée. Séparons-nous. Adieu! adieu, mes braves amis.
(Les patriotes serrent la main de Félix et sortent.)
FéLIX--Adieu, braves compagnons! Puisse la trahison ne pas avoir de suites plus funestes! . . .
TOINON, à part--Et puis dire que j'ai pas
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