Félix Poutré | Page 3

Louis Frechette
dernière que l'expérience ne nous fera pas défaut cette fois-ci. Vous comprenez que nous savons aujourd'hui par où nous avons péché.
FéLIX--Je vais vous le dire tout de suite, moi, par où vous avez péché: c'est d'avoir envoyé les habitants se battre avec des fusils sans plaque. Comment voulez-vous que nous déplantions un Anglais avec un fusil qui ne vaut pas mieux qu'un baton? Vous voulez que nous nous battions; nous sommes prêts. Ah! vous en trouverez des hommes, allez. Mais au moins donnez-nous des armes; des fusils, des canons, de la poudre et des balles. Avec tout cela, je vous promets qu'il en sautera des Anglais.
CARDINAL--Vous en aurez des fusils et des balles. Toutes nos mesures sont prises. Nous avons en ce moment aux états-Unis des affiliés occupés à nous procurer tout cela. L'important pour le moment, c'est d'obtenir quelques fonds. Deux choses sont pressantes: 1. organiser des comités qui deviendront des compagnies plus tard; 2. lever autant d'argent que possible pour l'achat des armes qu'il nous faut. Tu es populaire dans les environs de Napierville: veux-tu te dévouer à l'une et à l'autre?
FéLIX--Vous connaissez ma réponse.
CARDINAL--Bien, je n'attendais rien moins de votre patriotisme, Félix Poutré. Je vais vous assermenter et vous vous mettrez de suite à l'oeuvre. (Il lui présente une Bible, et tous les conjurés se rangent autour de Félix, et lèvent la main droite.) ?Vous jurez à Dieu et à votre patrie d'employer toute votre énergie et tout votre courage pour chasser les Anglais du soi du Canada, et de ne vous arrêter que lorsqu'il n'en restera plus un seul dans ses limites!? (Il baise la Bible et se retire.)
LES CONJURéS--Ainsi soit-il!
CARDINAL--Maintenant, Félix Poutré, le pays compte sur vous. Gardez cet évangile, et parcourez les campagnes pour administrer le même serment à tous les patriotes qui voudront se joindre à nous. En même temps, nous solliciterons quelques souscriptions dont le produit sera employé à l'achat des armes qu'il nous faut pour réussir. Voulez-vous faire cela avec zèle et discrétion?
FéLIX--Je le promets sur ma tête et sur mon honneur! (On frappe.)
3ème CONJURé--Qui va là?
UNE VOIX, en dehors--Brutus!
3ème CONJURé--Le mot d'ordre?
UNE VOIX, en dehors--Vengeance et liberté!
3ème CONJURé, ouvrant la porte--Entrez! (Entrent dix Policemen.)
SCèNE VI
Les Précédents, POLICEMEN
LES CONJURéS--Nous sommes trahis! . . .
CAMEL, à part--Sit?t! Ils ne devaient pourtant pas être ici avant minuit . . .
DUQUETTE--Défendons-nous, mort au tra?tre! . . .
CARDINAL--Du calme, Duquette; laissez-moi faire!
CAMEL, se rangeant du c?té de la Police--Policemen, ces hommes sont tous des conspirateurs; ils ont juré de renverser le gouvernement de Sa Majesté . . . Je les dénonce . . . (Montrant Cardinal.) Voici leur chef; (montrant Félix) et voici le dernier affilié, et peut-être le plus dangereux de tous!
LES CONJURéS--Le tra?tre!
CARDINAL--Le lache! . . .
CAMEL, montrant un papier aux policemen--Voici mes ordres signés du Shérif. Policemen, arrêtez-les tous! (Personne ne bouge.) Arrêtez-les tous, vous dis-je, et que pas un seul ne puisse s'échapper! . . .
CARDINAL, aux Policemen--Frères, (montrant Camel) emparez-vous de ce tra?tre! (à Camel.) Ah! . . . lache, il y a longtemps que je soup?onnais la trahison, et que j'avais l'oeil sur toi! Tu nous tendais des pièges; tu t'y es laissé prendre toi-même comme un imbécile. Ces hommes que tu as pris pour des mercenaires du gouvernement dont tu t'es fait le servile valet, sont, des n?tres, entends-tu? Je leur ai fait prendre ce costume pour te forcer à lever le masque; et maintenant que nous t'avons vu tel que tu es, nous savons ce qui nous reste à faire.
LES CONJURéS--A mort! à mort!
CAMEL--Grace! pour l'amour de Dieu!
CARDINAL--Grace? vil espion; si tu en valais la peine, je te ferais sauter la cervelle comme une vieille calebasse pourrie, je jetterais ta sale carcasse aux chiens; mais les armes que nous avons prises pour délivrer la patrie, ne doivent pas commencer par se souiller du sang d'un renégat. Au cachot, misérable! C'est là que tu attendras le jugement que ta trahison mérite! (On jette Camel à la cave.)
LES CONJURéS--C'est cela. Bravo! . . .
CARDINAL--Frères, nous venons d'échapper à un grand danger. Remercions la Providence qui protège aussi visiblement la cause pour laquelle nous allons combattre. Allons nous mettre à l'oeuvre. Voici les plis cachetés dans lesquels chacun de nous trouvera le mot d'ordre, et les dispositions des chefs. Prenez: soyez prudents, et Dieu sauve le Canada!
LES CONJURéS--Dieu sauve le Canada!
CARDINAL, à Duquette--Toi, viens avec moi! (à Félix.) Jeune homme, c'est entendu, adieu! à la vie à la mort! . . . (Il lui serre la main.) Sortons.(Tous sortent.)
FéLIX, resté en arrière--Dans six mois le Canada sera libre! . . . Et moi? . . . Dans six mois, Félix Poutré sera mort, ou sera un grand homme! . . . (Il sort.)

Acte II
Le décor représente une grande route.
SCèNE I
On entend un chant, d'abord lointain, se rapprochant, et une troupe
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