rude Bou-Amema que ce révolté-là, et la multiplication des
pains de l'Évangile devrait bien se voiler la face devant lui.
Plus nous marchons, plus il se sauve, en cela réside toute la guerre que
nous faisons ici.
Le mode d'agir de ce guerrier est quelque peu original. Je me permets
de vous instruire là-dessus.
Il arrive près d'une de nos tribus fidèles:
--Voulez-vous me suivre?...
--Hein!... vous refusez?... psitt... têtes coupées.
--Vous venez?... très-bien... troupeaux razziés.
Aimable alternative! cous hachés d'un côté et pillage de l'autre. Voilà
où en sont nos Arabes fidèles.
Vis-à-vis des Européens, il est plus et même trop galant.
Il fusille les hommes, embrasse et viole les femmes, enlève les enfants,
se moque des colonnes lancées à sa poursuite, et va tranquillement faire
sa sieste dans ses utiles Ksours du Sahara.
Nous, les Français, nous sommes bons, archibons,--je ne dirai pas
bêtes,--pour ce garçon-là, et je conseillerais de le fusiller et de le
refusiller, si nous le pinçons, ce qui est problématique.
Enfin, vogue la galère, et va pour la poursuite!
Cela ne m'empêchera morbleu pas de continuer à édifier le
chef-d'oeuvre du Voyage autour de ma tente, coûte que coûte.
Et moi qui voyageais si doucement! J'étais bien heureux dans ma
tranquillité de sybarite! Que l'alfa de ma couche me semblait tendre!
Sauf les quelques milliers de puces qui me stimulaient, je passais de si
belles nuits sans sommeil!
Les jours, se succédant, accumulaient dans mon âme une si abondante
dose d'un ennui bienfaisant!
Comme la riante et boueuse rivière chantait bien, en courant gaiement,
entre les roseaux de ses rives vaseuses!
Quelles luttes n'ai-je pas eu à soutenir contre les moustiques, assidus
visiteurs de mes pénates!
Quel... Mais j'étais sur le point d'oublier le siroco du désert, le classique
siroco du Sahara, le seul siroco qui existe.
Ingrat! j'allais oublier ses passages quotidiens.
Fidèle au rendez-vous, le siroco annonçait chaque soir son arrivée par
un je ne sais quoi qui nous faisait immédiatement entrer sous la tente et
fermer tout.
Et les scorpions! familiers du voisinage, ils habitaient les sacs, les
couvertures, les habits et exigeaient une hospitalité soutenue qu'ils
payaient d'un coup de dard!
Le majestueux cafard, grave, inoffensif et ne demandant que la vie
sauve, venait aussi rouler sa boule dans notre camp!
Et les araignées! Et les tarentules! Et les mouches! Et les coléoptères de
tous grades et de toutes espèces, camarades, à effets gradués
d'embêtement, dont la présence savait si bien charmer mon réduit!
Hélas! je vous quitte tous, et demain je pars!
J'implore votre sensibilité, cher lecteur, car c'est ici, je vous le dis en
vérité, l'endroit où vous devez la faire entrer en scène.
Versez donc deux pleurs au moins, et ma musette vous en sera
reconnaissante.
Ma musette est voisine de mon képi. Elle infléchit vers le nord-est.
Son ventre regorge d'un monde que je mettrai à découvert plus tard.
Je l'ai un peu négligée dans ce chapitre, mais j'ai des retours touchants,
et je saurai bien me faire pardonner cet oubli apparent.
Je ne sais d'où vient la musette. Dès les temps les plus reculés, la
musette existait. On l'appelait besace ou de tout autre nom.
La musette remplace avantageusement, chez l'humble militaire,
l'élégante sacoche de nos officiers.
Les billets de banque et quelques luxueux articles de toilette
encombrent la sacoche. Un morceau de pain, plus souvent un biscuit,
accompagné de quelques grains de riz et de café, composent toute la
cargaison d'une musette ordinaire.
On y ajoute cependant, dans certaines circonstances rares, du lard, des
oignons, de l'ail; mais c'est du dernier luxe.
Quelques troupiers, très-belliqueux, arrangent leur musette en un étui
long et effilé, dans lequel ils faufilent leurs cartouches.
La proximité de l'ennemi recommande cette mesure. Cependant, j'en
suis encore à m'en demander l'urgence en face de Bou-Amema, qui ne
nous a pas gâtés de son voisinage.
La musette se porte en bandoulière au moyen d'une banderole d'épaule.
Trente centimètres de long sur vingt de hauteur sont les calculs de ses
dimensions les plus en vogue.
La partie intérieure dépasse la partie extérieure d'une certaine longueur,
qui se rabat et s'attache à deux boutons.
La toile est l'étoffe de sa confection. Voilà la musette.
La mienne n'entre pas dans la catégorie des musettes ordinaires, et je
cache dans ses replis une longue liste d'objets, que je tâcherai de
déchiffrer plus tard.
Il me faut, pour cela, un peu de recueillement. Là-dessus, croyez-m'en,
passons au havre-sac.
VII
LE HAVRE-SAC
Ce meuble occupe le nord de ma tente.
A propos, je vous demande pardon de parcourir ainsi la rosette des
vents. Cela entre dans la clarté du récit.
Ma tente est presque circulaire dans sa base, et, pour l'intelligence des
événements, il me faut la boussole.
Sans elle, aucune donnée ne pourrait réussir dans ce travail.
Aussi, c'est
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