Expéditions autour de ma tente | Page 8

Ch. Des Ecores
entendu, on ne me reprochera ni les points cardinaux, ni les
points intermédiaires, et cette concession accordée aux grincheux
m'autorise à revenir à mon sac.
Il est au nord, c'est-à-dire vis-à-vis de la porte de ma tente.
Son utilité, en station, réside dans les services qu'il me rend pendant
mon repos: il me sert d'oreiller.
J'avouerai, pour être véridique en tout, qu'il est un peu dur, mais
l'habitude émousse les sensations, et ma tête se porte un peu moins bien
pour cela.
En route, il prend sa revanche et se fait sentir par un attachement
variant de vingt-cinq à trente kilogrammes de poids.
Une étape, d'une vingtaine de kilomètres, permet encore de dédaigner
le sac, mais trente-cinq l'alourdissent, et en approchant de la
cinquantaine, il devient tout à fait exigeant.
J'écris un peu d'après mon expérience personnelle. Cependant, toute
abstraction faite du sentiment égoïste, je ne crois pas mentir en
affirmant que j'exprime, à peu de chose près, l'opinion générale.
Le soldat s'est moqué, se moque encore et se moquera toujours du sac,
à qui il applique toutes sortes de noms dérisoires: emplâtre, as de
carreau, Azor, etc.
Quelquefois, un troupier bien fatigué l'interpelle pendant une halte.
Mettant le pied dessus, il lui demande, d'un petit air engageant:
«Veux-tu me porter maintenant? Il y a bien assez longtemps que je le
fais. A ton tour.»
Le sac, restant calme et digne, ne répond pas, comme vous le pensez
bien, du reste.
A la halte suivante, un autre soldat facétieux dit aux camarades qui
l'entourent: «Ce n'est pas le sac qui me fait mal, ce sont les bretelles.»

Cette farce, lancée je ne sais combien de fois, trouve toujours écho chez
les auditeurs, qui rient jaune. Bien entendu, le sac reste digne et ne
répond toujours pas.
L'épithète pharmaceutique s'applique quand on veut réunir le camarade
et son sac dans une même insulte:
«Regardez-moi donc ce type, il doit être rudement malade, quel
emplâtre dans le dos!»
Le soldat interpellé se charge de répondre pour lui et pour son sac. Je
vous fais grâce de ses répliques.
L'as de carreau nous vient des Joyeux, d'après la légende.
Ils firent une chanson là-dessus, et le refrain se termine par ceci:
Portons gaiement (bis) l'as de carreau (bis), Portons gaiement l'as de
carreau.
Je l'ai dit plus haut, le sac se venge au centuple des quolibets et
surnoms dont on le gratifie.
Le havre-sac est ancien, et je ne me rappelle pas quand il fut introduit
dans l'armée.
Il se divise ne plusieurs modèles, et les habiles directeurs de
l'équipement militaire ne cessent de l'améliorer.
Le dernier paru est fait de toile noire. Il porte d'inextricables courroies,
ornementées de boucles nombreuses et d'anneaux de toutes espèces.
Ce sac peut avoir du bon, mais ce qui me chatouille agréablement, c'est
que tout le monde le trouve commode, excepté ceux qui le portent.
Cela entrait peut-être dans l'idée de l'inventeur.
Bien d'autres sacs sont en usage. Le meilleur est celui en peau de veau,
avec deux simples bretelles.

Celles-ci, attachées au haut du sac, enlacent les épaules du soldat, et,
passant sous les bras, viennent se boucler au bas. Il est simple, ce sac-là,
et peut être chargé sans l'aide du camarade.
Si un écrivain intelligent pouvait saisir et traduire les émotions et
sensations que le sac causa, depuis qu'il existe, il n'y aurait pas assez de
papier, dans l'univers connu pour les imprimer.
Chaque individu a ses idées là-dessus, et, comme tel, je vais essayer de
faire connaître ce que mon vieux sac, en peau de veau, m'a appris
pendant notre accointance.
La première chose par laquelle il se fit connaître fut la fatigue, et
celle-ci, il me la prodigua ferme.
Dans le commencement de mon apprentissage militaire, un
engourdissement grave me saisissait aux épaules. Puis venait le manque
de circulation du sang, que me faisait enfler les mains et leur donnait
des dimensions à faire rougir n'importe quel géant.
A cela s'ajoutaient de sérieuses crampes dans les reins, accompagnées
de désordres dans la respiration.
Peu à peu, l'habitude finit par faire disparaître ces légers désagréments,
et bientôt, à l'arrivée à l'étape, il ne restait plus qu'une vague fatigue,
facilement secouée.
Ces ennuis physiques écartés, mon sac me laissa les loisirs de faire
quelques remarques philosophiques sur ses agissements.
C'est alors que j'appris jusqu'à quel point la fatigue est capricieuse et
facile à oublier.
Ainsi, en marche, si la pluie arrose une colonne, l'homme dédaigne tout
de suite le sac pour ne jurer que contre l'eau et la boue qui l'ennuient.
Ou bien, après une longue journée de route, quand les jambes ont à
peine la force de traîner le corps, tout est oublié, soif, maladie, fatigues,

etc., enfin tout, si l'ennemi est signalé.
Le troupier, quelque fourbu qu'il soit, reprend vigueur au moment du
combat et
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