Expéditions autour de ma tente | Page 6

Ch. Des Ecores

Un peu de suif de chandelle les ramène vite au sentiment du devoir,
mais ils retombent bientôt dans une apathie malséante.
Ce qui prouve que les godillots sont dignes de chausser nos braves
militaires, et que les longues routes peuvent seules les satisfaire.
Je répète encore: En moi, ô inséparables compagnons de mes courses,
vous trouverez toujours un admirateur, outré de voir le brodequin
désigné pour vous remplacer!
Il me répugne beaucoup de faire ces tristes pronostics. Que voulez-vous
cependant, ces braves chaussures vont disparaître des traditions, et,
fidèle aux principes de la chevalerie française, je salue ceux qui
tombent.
Répondront-ils: Morituri te salutant? Hélas! je ne sais!

V
LE KÉPI
Du soulier passer au képi, sans transition aucune, est quelque peu
illogique, et je laisse la responsabilité de ce fait aux événements qui
permirent à mon képi de s'accoler à mes godillots.
En voyageant autour de ma tente, le sort a voulu qu'un rapprochement
aussi baroque qu'un soulier fraternisant avec un képi se produisit.
En effet, presque à l'est de l'auteur, repose son képi, recouvert du
couvre-nuque traditionnel.
Le képi a du bon. Malgré la sagesse des commissions d'habillement,

aucune décision grave n'est encore venue le troubler. On l'a bien orné
d'une visière laide et excellente, mais enfin rien encore pour sa
suppression.
On a parlé du casque allemand comme devant lui succéder; quelques
régiments seuls eurent le plaisir de l'essayer.
Le casque indo-anglais montra quelque temps des velléités de vouloir
couronner la tête de nos troupiers, mais il ne tint pas ferme.
Le shako français a aussi été fortement ébranlé dans ses bases.
A l'heure où j'écris cependant, je ne sais encore rien de positif sur son
sort futur.
Enfin, sans arrière-pensée, le képi existe, et j'en ai un.
Je me rappelle toujours, avec une certaine horreur, le premier jour de
mon installation militaire. On me conduisit au magasin d'habillements.
Ma tenue comportait le képi qui, couvrant consciencieusement ma tête,
l'aurait entièrement fait disparaître sous sa large structure, si mes
oreilles, naturellement bien développées, ne l'avaient arrêté dans sa
marche descendante.
Ma malheureuse tête, ornée d'un pareil appendice, présentait une
piteuse apparence. Le bas du visage et le nez seuls étaient visibles.
Quant aux yeux, il était permis de présumer qu'ils existaient; mais
l'énorme abat-jour qui me servait de visière empêchait tout oeil
indiscret de les voir.
En entrant dans la chambrée, mon premier soin fut d'ôter mon képi et
de l'examiner avec un intérêt bien légitime.
J'étais peiné de le voir si grand, et je me disais que le diamètre de son
ouverture aurait pu satisfaire une tête de géant de bonne famille.
Un troupier, bien intentionné sauva la situation en trempant mon képi
dans l'eau, et je fus fort étonné, quand il fut sec, de le voir présentable.

De là date mon attachement pour ce mémorable couvre-chef.
Lui aussi m'accompagna partout, et s'il n'empêcha pas le soleil de me
cuire le visage, du moins fit-il son possible.
Dans nos dernières excursions, il ne marchait jamais seul. Toujours il
réclamait,--aidé en cela des ordres du colonel,--le couvre-nuque, qui
jadis était blanc.
Un endroit quelconque de la tente le satisfait la nuit, et jamais il ne fut
nuisible.
Depuis que j'ai entrepris le récit de mon voyage circulaire, une
tendance marquée de se loger à l'est s'annonce chez lui. Ce qui explique
sa proximité de rapport avec mes godillots.
La provenance de cette estimable coiffure est encore incertaine dans ma
pensée. Cependant, je la soupçonne, à certains airs maladroits de sortir
des ateliers d'Alburac.
Ce dernier monsieur est un excellent tailleur militaire, et, comme
spécialiste, il est fort.
Dans le genre képi, sauf un écrasement particulier des parois, il ne se
distingue que médiocrement. Quelques trous inutiles, préposé à
introduire l'air au crâne, semblent bien être percés sur les côtés. Mais
cela demande l'oeil d'un scrutateur convaincu pour le constater.
Des passe-poils, bleus dans leur début, parent le képi; mais ils
manquent vite à leur mission, et ils ne deviennent pas bleus du tout au
bout d'un mois de service.
Le couvre-nuque, tout en faisant fonction de protecteur contre le soleil,
réussit énormément à bosseler le képi.
Enfin, tout conspire pour le rendre insignifiant, et le mien, plus que
tous, est mal partagé.
Je ne lui en veux pas pour cela. Sa carrière est déjà longue, et dans

quelques jours on le verra retourner au néant. Alea jacta est.

VI
LA MUSETTE
Je suis triste comme une feuille d'automne.
Mon installation de trois mois n'était qu'une vague mystification.
Demain, la plaine me verra de nouveau engendrer des triangles de mes
jambes fatiguées.
C'était écrit que ce Bou-Amema introuvable serait partout au même
moment.
Poussant une pointe à l'ouest; la rumeur l'annonce à l'est, et le petit
journal *** contredit ces deux données, et le place aux antipodes.
C'est un
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