le contenu de sortir du contenant.
Le fer-blanc est le métal de sa confection. Deux oreillettes, scellées de
chaque côté, reçoivent une banderole qui permet de le suspendre aux
épaules.
Le bien-être et les ordres exigent que le bidon soit recouvert de l'étoffe
de vareuse hors de service. Le mien a double couvert, et, pour ce, je
veux que son contenu ait une double fraîcheur.
Son physique examiné, je vous dis pourquoi il est actuellement dénué
d'intérêt palpitant.
Placé dans la partie sud-est de ma tente--chose que j'ai eu l'honneur de
dire plus haut,--mon bidon penche du côté de la riante et boueuse
rivière, et apparaît au voyageur avec une oreillette en moins et le
bouchon du grand goulot perdu.
L'oreillette disparut au fond d'un puits salé, et j'ignore les détails de la
perte du bouchon.
Un arrangement spécial de courroies compliquées remplaça l'oreillette,
et au bouchon de liège succéda un chiffon roulé.
Ces détails sont navrants pour l'honneur de mon bidon; mais je ne puis
les omettre sans manquer à la vérité, apanage de tout voyageur honnête.
Il n'est pas impossible de comprendre que le pauvre diable, affublé
d'appareils aussi étranges, n'ait pas du tout le petit air fin de
circonstance.
Certainement qu'il serait impardonnable, s'il ne contenait pas, en ce
moment, un bon litre de vin que le Juif de là-bas vient d'y verser.
Aussi, je prie ceux qui s'intéressent à mon bidon de glisser légèrement
sur ses peccadilles. Faisons ensuite un petit mouvement vers le sud-est,
et lançons nos regards sur mes godillots. Je ne les lâcherai pas avant la
fin du chapitre suivant.
IV
LES GODILLOTS
Alexis! ô Alexis! as-tu pu fabriquer mes 28, et vivre encore!
Bien des travaux fameux furent abattus dans les temps homériques!
Hercule nettoya les classiques écuries d'Augias et vainquit l'hydre de
Lerne; Achille fit des prodiges devant Troie, Alexandre conquit l'Asie;
César, les Gaules, et Annibald se maintint quatorze ans en Italie.
Mais toi, seul d'entre tous les Alexis, tu fis mes godillots, ce qui est
bigrement fort, je te le jure!
Ils débutèrent à mon service le 11 juin 1879, à dix heures du matin, et
deux fois depuis le cordonnier eut à leur donner du coeur au ventre, à
raison de trois francs chaque fois.
Ces détails écartés, je me plais à constater qu'ils se conduisirent
consciencieusement.
En tout temps ils restèrent attachés à mes pas, et ce septième jour, déjà
dit, les trouve aussi fermes que jamais, si ce n'est un peu fatigués.
Quelle épopée que leur existence! Un exemple seul démontrera
l'importance de leurs fonctions: pendant onze mois ils firent cent
soixante-quatorze étapes, ce qui, avec une moyenne de trente
kilomètres par étapes, leur donne un actif de cinq mille deux cent vingt
kilomètres, soit près de quinze cents lieues.
Aussi, je serais embarrassé s'il me fallait écrire leur histoire en un seul
volume. Je préfère leur accorder un chapitre unique, dont le laconisme
donnera plus de poids aux quelques lignes que je leur consacrerai.
On a osé attaquer la valeur du godillot. On a été jusqu'à lui opposer le
brodequin napolitain, que les décisions ministérielles appellent à lui
succéder.
O ingratitude militaire, où descends-tu te loger! quel est le vieux
troupier qui aura le courage de conspirer contre toi, légendaire soulier
de France! Il faut avoir l'âme bien mal équilibrée pour oublier le
bonheur que tout soldat éprouve à la vue d'un godillot, paré d'une
guêtre, à laquelle il ne manque pas même un bouton.
Je sens une profonde émotion s'emparer de mon âme. Et je jure ici, par
les milliers de kilomètres foulés par eux, par les innombrables
écorchures qu'ils engendrèrent, par leur air bête, enfin par tout ce qu'il y
a de plus sacré chez une naïve chaussure, je jure donc que, tant qu'une
goutte d'un sang pur et clair colorera mes veines, je défendrai les
godillots.
Après cette exclamation passionnée, je redeviens calme, et je continue.
Dans un moment d'humeur noire, je pourrais leur reprocher d'avoir trop
facilement offert l'hospitalité aux sables du désert et aux boues des
marais.
Mais, revenant à de plus tendres sentiments, je leur pardonne pour ne
me rappeler que les brillants jours de revue.
Alors, comme mes souliers se paraient d'une auréole pure et sans tache!
Reluisant d'un cirage glacé, entourés de guêtres bien blanches, il me
semble encore entendre la musique de leurs clous, battant allègrement
le pavé.
Hélas! ces agréables visions sont déjà loin dans l'oubli des siècles, car
les dernières phases de notre liaison viennent de se dérouler dans l'alfa
des hauts plateaux.
Depuis mon installation de trois mois, ils prennent un repos bien acquis,
mais certains signes caractéristiques annoncent chez eux un ennui
remarquable.
Devenus durs et tordus par suite d'une non-activité aidée du soleil, ils
rechignent à couvrir mes pieds pour de simples promenades.
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