pas pour cela.
--Dieu m'en préserve, mon enfant, puis-je quelque chose pour vous être
agréable?
--Oui, monsieur l'abbé. Vous savez ma révocation?
--Sans doute, Jacques. Elle vous honore.
--Mais elle me ruine... pour le moment, et je voudrais vous prier de
m'aider à trouver quelque chose...
--Tout mon pouvoir, qui n'est pas bien grand, est à votre service, quel
genre d'occupations désirez-vous?
--Mon Dieu! monsieur l'abbé, je serais volontiers professeur libre, mais
j'ai en ce moment l'esprit occupé d'une autre idée; je voudrais me
marier.
--Cette pensée est des plus louables.
--Le jour où vous avez remplacé M. le curé de Sainte-Radegonde pour
le catéchisme de persévérance, j'étais dans cette église... une des jeunes
filles qui suivaient l'instruction vous a remis à la sortie une aumône
probablement considérable, dont vous l'avez beaucoup remerciée... je
l'ai vue deux fois et je lui ai voué un amour immense, je crois qu'elle y
répond... mais voyez la malechance, je ne sais pas seulement son nom...
je voulais vous prier de me l'apprendre, excusez mon indiscrétion.
L'abbé de la Gloire-Dieu ouvrait la bouche pour demander à son
interlocuteur s'il était fou, quand il sentit que cette prodigieuse naïveté
était entièrement franche et convaincue. Il ne sourit même pas, son
visage revêtit au contraire une expression de tristesse.
--Mais, mon bien cher Jacques, reprit-il, on me remet tous les jours des
aumônes, il m'est impossible de savoir à qui vous faites allusion, de
plus il s'agit certainement d'une personne fort riche, appartenant à une
grande famille et fiancée à l'heure qu'il est, n'en doutez pas. Dans le
monde les mariages se décident souvent fort longtemps d'avance. Je
vous engage à ne plus penser à cela et à étouffer un sentiment qui ne
peut que vous infliger des souffrances morales. Songez d'abord à une
situation... Je m'offre à vous en faciliter la recherche. Revenons à cette
idée de professorat dont vous me parliez tout à l'heure. Voulez-vous
que je vous recommande au père Coupessay, directeur du collège
Oratorien de la rue de Monceau?
Mérigue avait compris à l'accent du prêtre que le désir manifesté par lui
était chimérique et même un peu ridicule. Il avait trop d'opiniâtreté
pour y renoncer, mais il fut profondément humilié de l'accent de pitié
qu'il avait découvert dans les paroles de l'abbé. Aussi se contenta-t-il de
répondre à l'offre de celui-ci par un «oui, monsieur, je veux bien» un
peu indifférent et assez dépité.
--J'écrirai ce soir même, répliqua le vicaire et vous irez voir le
Révérend Père après demain. Adieu, mon enfant, et tout à votre service
pour ce qui dépendra de mes faibles moyens.
Jacques s'éloigna la rage au coeur. Comme il remontait précipitamment
la rue du Bac, il se sentit frapper amicalement sur l'épaule. Il se
retournait plein d'humeur, quand il se trouva en face du seul ami intime
qu'il possédât à Paris, le jeune baron de Sermèze, fort riche, fort lancé,
dont il avait fait la connaissance par hasard dans un musée, et qui
s'intéressait à ses productions littéraires.
--Eh bien! mon pauvre vieux, exclama le baron d'une voix bonne enfant,
c'est comme cela que tu passes devant les amis sans crier gare?
--Tiens, dit Mérigue, je te rencontre à propos.
--Qu'y a-t-il pour ton service?...
--Une chose très simple; je voudrais savoir le nom d'une jeune fille
ravissante qui va tous les soirs au salut à Sainte-Radegonde et qui se
tient près du pilier gauche de la chapelle de la Vierge.
Sermèze partit d'un éclat de rire.
--Toujours tes ambitions impériales, pauvre fou!...
--J'ai lieu de croire qu'elle m'a remarqué, et, entre nous, si je pouvais un
jour... arriver à en faire...
--Ta maîtresse?...
--Ma femme.
--Je croyais que ta folie était bénigne, elle est furieuse, mon cher...
--Tu ne veux pas me procurer ce renseignement?
--Oh! que si fait... si cela suffit à ton bonheur, donne-moi deux jours...
--Je t'en donne quatre.
--C'est trop de moitié.
--Va, cher, je te revaudrai cela. Adieu!...
--Tu me quittes ainsi?
--Oui, excuse-moi, je n'ai pas la tête bien libre.
--Je suis trop poli pour te contredire. Au revoir.
Deux jours après Jacques de Mérigue recevait l'épitre suivante:
«Mon cher aliéné,
«Tu as tout bonnement jeté ton dévolu sur Mlle Blanche de Vanves;
charmante, spirituelle, un million de dot. Toutes mes félicitations pour
ton bon goût. Renseignements complémentaires: vingt ans d'âge.
Domicile: Hôtel Soubise, 85, rue Saint-Dominique (ne va pas y
demander une chambre, entre parenthèse). Le jour de ton départ pour
Charenton, fais-moi l'amitié de me prévenir.
«Tout à toi,
«SERMÈZE.»
P. S.--Mlle de Vannes est fiancée depuis un mois au duc de Largeay.
V
CANDIDAT
Mérigue, la tête dans ses mains, avait laissé tomber son porte-plume sur
une page de son grand poème la Rédemption des damnés. «Blanche de
Vannes,» se disait-il en lui-même, «Hôtel Soubise... un million de
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