Excelsior | Page 6

Léonce de Larmandie
dot...
et moi, dans une mansarde, avec soixante-dix francs de fortune... Ah! si
j'étais seulement célèbre dans les lettres, dans la politique... personne

n'a voulu imprimer mon dernier manuscrit, ces pauvres Jacinthes et
Pervenches. Ma Rédemption aura-t-elle plus de succès! si je pouvais
me présenter à la Chambre ou même au Conseil municipal de Paris. Je
percerais, bien sûr. Ah! oui, on parlerait de moi. Il y a précisément un
siège vacant au Pavillon de Flore... Mais que faire avec soixante-dix
francs, juste ce qu'il faudrait pour m'en retourner chez moi, en laissant
ici deux cents francs de dettes. Partirai-je? Ah! dix ans de souffrances
m'ont bien mérité quelque repos? mais mon pauvre père, ma mère, mes
soeurs, qui ont placé en moi tout leur espoir; et le nom que je dois
représenter et relever, et le vieil orgueil qui a été ma viande et mon vin
quand je mangeais du pain sec en buvant de l'eau claire. Non, je ne
capitulerai pas. Il y a quelque chose dans ma tête comme dans celle
d'André Chénier. Si je dois succomber, je veux que ce soit ici, sur la
brèche, glorieusement et non aux lieux où fut mon berceau. Blanche de
Vannes... O rage!... Allons, descendons des hauteurs du rêve dans la
fange de la réalité. Il me reste soixante-dix francs. Si je n'ai pas d'ici
huit jours une position quelconque, il ne me reste plus que le dépôt de
mendicité ou... oh! non, pas cela, j'aime trop ma mère. Allons voir ce P.
Coupessay.
Et Jacques se dirigea vers le collège de la rue de Monceau. A peine
eut-il franchi le seuil de l'établissement qu'il se rencontra nez à nez avec
un religieux de haute taille, vêtu avec une certaine élégance et portant à
ses chaussures des boucles d'argent.
--Vous désirez, monsieur?...
--Voir le R. P. Coupessay, mon père.
--Le connaissez-vous, monsieur?
--Non, mon père.
--Eh bien! c'est moi, monsieur.
--Enchanté, mon père.
--Je vous écoute, je n'ai qu'une seconde...

--Veuillez m'excuser, mon père...
--Allez, allez, monsieur, dépêchons-nous, il y a cinq dames qui
m'attendent au parloir.
--Vous avez dû recevoir une lettre de recommandation, me concernant
et émanant de M. l'abbé de la Gloire-Dieu?...
--Ah! Oui... La Gloire-Dieu... La Gloire-Dieu...
--Je désirerais donner des leçons dans votre établissement.
Le P. Coupessay qui jusqu'alors avait affecté de ne pas regarder le
jeune homme, le toisa dédaigneusement de la tête aux pieds. Il ne prit
point garde à l'expression énergiquement intelligente du postulant et
remarqua seulement ses habits râpés et ses bottines éculées... Il répondit
sèchement: «Impossible... impossible. Mes cadres sont complets... vous
repasserez.» Et il tourna prestement les talons pour entrer au parloir où
plusieurs dames se précipitèrent vers lui avec une série de frou-frous
retentissants. Mérigue en sortant put entendre ces bouts de phrases:
Mon Révérend Père...--Bien chère madame...--Cuistre! murmura-t-il en
haussant les épaules, et il regagna la rue des Saints-Pères. Après avoir
réintégré son domicile, il mangea un petit pain avec deux ronds de
saucisson et avala une gorgée d'eau à son broc. Il appelait cela dîner.
Comme il achevait son festin de Balthazar, un violent coup de sonnette
retentit à sa porte! C'était son ami le baron de Sermèze.
--Bonne nouvelle! cria tout d'abord le baron en serrant vigoureusement
la main de Jacques.
--Blanche?... fit celui-ci avec un tressaillement.
--Imbécile! reprit Sermèze, je vais m'en aller sans te rien dire, si au
moment où je viens te faire les propositions les plus importantes et les
plus sérieuses, tu me préviens en me jetant à la tête tes chimères
stupides.
Tiens, tu me parles de Blanche; c'est le docteur du même nom qui

devrait s'occuper de toi.
--Après?...
--Tu es un triple idiot.
--Nego, après?
--Veux-tu te présenter au conseil municipal?
Mérigue bondit en ouvrant de grands yeux.
--Réponds donc, grand nigaud.
--Eh bien, oui, pardié, mais comment?...
--Voici, et ne m'interromps pas, surtout; figure-toi pour un moment que
tu es Cinna et que je suis Auguste. Tu sais qu'il y a un siège vacant au
Conseil?
--Oui.
--Chut!... précisément dans le quartier Saint-Barthélémy.
--Oui.
--Chut!... tu sais qu'il y a un comité royaliste?
--Oui.
--Chut! te dis-je. Eh bien, ce comité est composé de très braves gens,
d'une honorabilité parfaite et qui n'a d'égale que leur incapacité. Pour
t'en donner une idée, ils ne songent point à présenter de candidat, bien
qu'ils aient toutes les chances pour eux.
--Les crétins! fit Mérigue.
--Chut, reprit le baron. Tu n'es pas respectueux, mais tu es véridique.
Enfin, il se trouve parmi eux un petit vieux moins momifié que les

autres et qui s'appelle le vicomte d'Escal. Il est affligé de cent mille
francs de rente.
--Il ne doit pas invoquer de consolatrice, alors.
--Tais-toi, bavard. Ses collègues ne le prennent pas au sérieux, ce dont
il rage considérablement. Pour leur faire pièce, il
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 81
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.