mains, elle paraissait poursuivre une prière monotone, vaguement
troublée par une rêverie amoureuse... Un imperceptible sourire plissait
de temps à autre ses lèvres fines, puis survenait un mouvement de tête
destiné sans doute à chasser une obsession doucement importune. Mais
le sourire allait toujours s'accentuant et les mouvements de résistance,
s'atténuaient de minute en minute. Mérigue toussa maladroitement. La
belle nymphe se redressa sur le champ, aperçut son contemplateur, et,
de ses yeux profonds et noirs, lui envoya un regard pareil à un coup de
lance. Le pauvre Jacques, anéanti, s'appuya à une colonne pour ne pas
tomber, et laissa choir sa canne, qui, rebondissant sur le pavé sonore,
produisit en plein tantum ergo, un cacophonie scandaleuse.
Du coup Mlle *** éclata de rire, en dépit d'efforts héroïques, et laissa
voir à l'expéditionnaire révoqué deux rangées de dents éclatantes, belles
à tenter les lèvres des anges. Mérigue tressaillit longuement troublé
jusqu'au plus profond de ses sens et de son âme. Se voyant en veine de
commettre des bourdes, il prit assez d'empire sur lui-même pour
tourner les talons et se retirer. Au moment où il poussait la portière de
velours, il jeta comme Orphée un regard en arrière, et rencontra cette
fois un visage où la gaîté et le courroux avaient fait place à une vague
expression de pitié.
--Oh! se dit Jacques en entendant son coeur battre une charge
frénétique, elle m'aimera! Elle m'aime! Et une rage lui vint de savoir le
nom, la famille, la maison et la situation de celle qu'il appelait déjà sa
bien-aimée... Comment s'y prendre?... L'attendre et la suivre à la sortie
de l'église? Oh! non jamais! Si on s'en apercevait!... S'il recevait encore
un de ces coups d'oeil formidables comme lorsqu'il avait toussé d'une
façon si inopportune.
Plutôt ne jamais rien savoir que d'exciter encore son mécontentement...
A qui s'adresser?...
Évidemment, c'était une personne du grand monde, de cette société
supérieure, où il brûlait d'entrer, mais qui ferme généralement ses
portes aux employés de ministère... même destitués... Une idée?... s'il
interrogeait un prêtre? Le clergé a toujours un libre accès auprès des
plus opulentes familles... Eh bien!... ce bon vicaire de Saint-Barthélémy
auquel il se confessait jadis.... Cet excellent abbé de la Gloire-Dieu... si
prôné par tout pour l'austérité et la dignité de sa vie... il devait connaître
tous les grands noms celui-là... Comment n'y avoir pas songé plus
tôt?...
Le bon vicaire, par affection pour son ancien pénitent, pourrait
peut-être lui donner des indications précises... des conseils sur la façon
d'agir... qui sait?... un secours tout-puissant.
Jacques se mit presque à courir plein d'émotions de tout genre et
d'espérances bizarres... A huit heures et demie du soir, il frappait au
presbytère de Saint-Barthélémy.
IV
L'ABBÉ DE LA GLOIRE-DIEU
L'abbé Christian de la Gloire-Dieu, premier vicaire à Saint-Barthélémy,
était effectivement, et sous tout rapport, l'ecclésiastique le plus
distingué et le plus justement apprécié des quatre paroisses
aristocratiques du noble faubourg. C'était un prêtre dans toute la force
auguste et grave de l'expression. Très sévère pour lui-même, son
austérité à l'égard des autres était tempérée par un grand souffle de
douceur et de compassion. Toutes ses ressources passaient aux
malheureux, et il savait toujours découvrir les plus méritants, les plus
timides, les plus dénués. Sa chambre ressemblait à la cellule d'un
chartreux, sauf qu'elle était plus grande et plus froide. Un immense
crucifix de bois noir en était le seul ornement. Sa vie était celle d'un
solitaire de la Thébaïde. Donnant à peine cinq heures au sommeil, une
demi-heure en tout à ses deux repas, il consacrait tout le reste de ses
journées aux travaux et aux fatigues du saint ministère. Sa piété, sa
charité et son zèle, le mettaient prodigieusement en vue et on parlait
fort peu du curé l'abbé Vaublanc, excellent prêtre, un peu fatigué, et du
deuxième vicaire, l'abbé Marquiset trop superficiel dans ses relations et
trop recherché dans son élégance. L'abbé de la Gloire-Dieu avait failli
être nommé curé de Sainte-Radegonde, mais comme le succès va plus
souvent à l'intrigue qu'à la vertu, on lui avait préféré l'abbé Roubley, un
bon prêtre, sans doute, mais un de ces ecclésiastiques trop ambitieux et
trop habiles pour être entièrement sympathiques. L'abbé de la
Gloire-Dieu, universellement connu dans le monde, y jouissait d'une
autorité et influence considérables. L'immense majorité des dames et
des jeunes filles du faubourg affluait à son confessionnal. Non que les
défauts ou les légèretés de ces nobles pénitentes trouvassent en lui un
censeur indulgent, mais il avait le secret de subjuguer ces âmes
hautaines par la chaleur et l'entraînement de sa foi.
--Bonjour, monsieur l'abbé.
--Tiens! mon cher Jacques, c'est vous! D'honneur le plaisir de vous voir
ne m'était pas échu depuis de long mois...
--Deux ans à peu près, monsieur l'abbé, mais j'ai pensé que vous ne
m'en voudriez
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