de la mort luy donnent de
l'encens.
Mais aveugle fureur où portes-tu mon ame?
Pourquoy
faut-il mon sang pour esteindre ma flame?
Pour estre mal-heureuse,
est-ce un point important
Qu'il me faille sauver en me precipitant?
Non, non, quittons l'erreur qui trouble ma pensée
Et repoussons les
traits d'une amour insensée,
Evitons les appas de ce subtil poison
Mettons au front d'amour les yeux de la raison,
Et ne permettons pas
qu'une passion feinte
Donne à mon noble Coeur une si vile atteinte.
Toutesfois c'est en vain que je veux reculer,
Le traict desja lancé ne
se peut rappeller:
Il faut, il faut franchir constamment la carriere,
Et
ne point perdre coeur en perdant la lumiere:
Lors que nous
esprouvons le destin malheureux
L'ennemy qui nous tue est le moins
rigoureux.
Amour voy que la mort me donne peu d'alarmes
Puisque
pour l'irriter je mets la main aux armes,
Regarde cet habit, voy
dessous cet armet
À quelle extremité ton pouvoir me sous-met,
Et
comme tous les traits qui sont en mon visage,
Commandent à mes
maux d'assister mon courage;
Depuis que je sentis les destins
ennemis,
Je creus absolument que tout m'estoit permis,
Que l'espée
à ma main estoit mesme decente
Pour maintenir les droits d'une flame
innocente,
Sous cette passion mon esprit abbatu
Se mocque des
advis que donne la vertu,
Et croiroit meriter d'estre au rang des
infames,
Si je suivois les moeurs du vulgaire des femmes;
Courage
Celiane, acheve ton dessein
C'est folie en amour que d'avoir l'esprit
sain,
Suy tes nobles transports tu seras satisfaite,
Et tu triompheras
mesme par ta deffaite:
Car Tygrane privant Celiane du jour
Fera de
son tombeau celuy de son amour;
Mais je le voy venir, songeons à
nous deffendre.
SCENE SIXIESME.
TYGRANE, CELIANE.
TYGRANE.
Chevalier excusez, Je vous ay faict attendre.
CELIANE.
Tygrane
vostre sang signera ce pardon.
TYGRANE.
Ce sera bien plustost
celuy d'Eurimedon.
CELIANE.
C'est où vostre valeur sera bien
occupée.
TYGRANE.
C'est où je tremperay maintenant mon espée.
CELIANE.
Tu mentiras perfide.
TYGRANE..
Ah c'est trop discourir.
Quand Mars & tous les Dieux te viendroient
secourir,
Ce propos insolent te coustera la vie.
CELIANE tombant.
Ah Dieux! ce coup mortel seconde son enuie,
Je meurs contente
(ingrat.)
TYGRANE.
S'en est faict il est mort.
Et ce fameux Guerrier en espreuve un plus
fort.
Mais que me sert d'avoir vaincu ce grand courage
S'il a mesme
en sa mort dessus moy l'avantage:
Triste ressentiment, inutile valeur
Vous triomphez de tout hormis de mon malheur,
Mon rival perd la
vie, & je pers Pasithée
Qui sera par ce sang justement irritée,
Alors
qu'elle sçaura que j'ay privé du jour
Celuy qu'elle avoit faict l'object
de son amour:
Mais afin d'eviter un visible naufrage
Mettons nous
pour un temps à couvert de l'orage,
Et fuyant les abords de l'Infante &
du Roy,
sçachons ce qu'ils auront deliberé de moy.
SCENE SEPTIESME.
CELIANE revenant de son esvanouissement.
Quel Astre malheureux jaloux de ma fortune
Donne encore à mes
yeux sa lumiere importune?
Quel funeste Demon après tant de
douleurs
Faict avecque mon corps revivre mes malheurs?
Pluton
me chasse-t'il de ses demeures sombres,
Me reffuse-t'on place en
l'empire des ombres?
Ouy: parce que la mort a pour moy des appas,
Les Dieux pour m'affliger ne me l'accordent pas.
Vien doncque
lasche vainqueur, vien perfide Tygrane
Au lieu d'Eurimedon achever
Celiane;
Ta cruelle pitié prolonge ma langueur,
Et tu m'obligerois
d'avoir plus de rigueur:
Mais je t'appelle en vain, tu n'entens pas ma
plainte,
Vivons, mon coeur le veut, & je m'y vois contrainte,
Attendant que le Ciel plus esmeu de pitié
Lance le dernier traict de
son inimitié;
J'iray dans le sejour de quelque solitude
Chercher
allegement à mon inquietude.
ACTE III.
SCENE PREMIERE
EURIMEDON, PASITHEE.
EURIMEDON.
C'en est faict, Pasithée, il faut ceder au sort
Qui contre nos amours
faict son dernier effort,
Il faut prendre congé de ces cheres delices
Qu'un soudain changement convertit en supplices;
Je ne m'y puis
resoudre, & pour me secourir
Le Ciel me feroit grace en me faisant
mourir:
À mes plus justes voeux la fortune s'oppose,
Et vous
perdant helas! Je perdray toute chose;
Esloigné de vos yeux tout me
fasche, & me nuit;
Je tiens indifferends & le jour, & la nuit,
C'est
par vous seulement que mon ame respire,
Mais quoy sa Majesté veut
que je me retire.
Ah trop severe arrest! triste commandement
Qui ne
differez plus ma mort que d'un moment
Satisfaictes le Roy, contentez
son enuie,
Je consens librement qu'on m'arrache la vie,
Pourveu
qu'en vous disant ces funestes adieux,
On m'accorde l'honneur de
mourir à vos yeux.
PASITHEE.
Eurimedon, le Roy hait trop l'ingratitude
Pour faire à ses amis un
traictement si rude,
Et vous devez penser qu'il ayme assez l'honneur
Pour ne vous pas oster un si foible bon-heur.
EURIMEDON.
Madame, pleust aux Dieux que ce fut un mensonge
Qu'auroient faict
seulement les chimeres d'un songe,
Mais mon malheur est vray:
Falante ce matin
Par ce triste discours a marqué mon destin.
Eurimedon, le Roy jaloux de vostre gloire,
Craint de vous desrober
quelque insigne victoire,
Et pour vostre interest touché de ce soucy
Il veut bien (s'il vous plaist) que vous partiez d'icy
Pour vous bien
employer ses Estats sont trop calmes
Et vous pouvez ailleurs arracher
mille palmes,
Au lieu que la grandeur d'un courage indompté
Se
destruit tous les jours dedans l'oysiveté.
PASITHEE.
Sans doute (Eurimedon) que c'est un stratageme
Que Tygrane a joué
croyant que je vous aime;
Mais à ce compliment qu'avez vous
respondu?
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.