Eurimedon | Page 8

Nicolas Mary

EURIMEDON.
Ce que pouvoit alors un esprit esperdu,
J'ay promis d'obeir, quoy que
pour m'y resoudre
Il faille auparavant que je sente la foudre.
PASITHEE.
Mon Prince relevez vostre esprit abbatu,
Contre elle vos lauriers ont
assez de vertu,
La volonté du Roy n'est pas irrevocable,
Je rends
(quand il me plaist) son humeur plus traitable,
Et si quelque enuieux
vous a desobligé
Vous aurez le plaisir d'estre bien-tost vangé.
EURIMEDON.
Ah Madame! si j'oze esperer cette grace
Ne blasmerez-vous pas
l'excez de mon audace?
PASITHEE.
Mais si je vous laissois en cette extremité
N'accuseriez vous pas mon
coeur de lascheté?
EURIMEDON.
Non, j'en accuserois seulement la fortune.
PASITHEE.
Vous n'en aurez jamais qui ne me soit commune,
En cette occasion le
Roy par sa rigueur
Peut beaucoup sur mon corps, & rien dessus mon
coeur.
EURIMEDON.
Cette faveur (Madame) augmente mes souffrances,
Pour oster mes

regrets, ostez mes esperances,
Que vos yeux contre moy soient armez
de couroux,
Vos regards plus cruels me seront les plus doux;
Et
puisque ma blessure est un coup de leur flame,
Qu'avecque leurs
mespris ils guerissent mon ame.
PASITHEE.
Si Tygrane lassé d'estre ingrat & jaloux,
Me faisoit aujourd'huy les
mesmes voeux que vous,
Cette requeste auroit quelque juste
apparence,
Et je le traitterois avec indifference,
Mais plustost que
d'user envers vous de rigueur
J'ayme mieux qu'on m'arrache & les
yeux, et le coeur.
EURIMEDON.
Il est vray qu'à present que mon malheur ordonne
Pour obeir au Roy
que je vous abandonne,
Vous feriez conscience en mon esloignement

D'adjouster à mes maux un mauvais traitement;
Mais si
d'oresnavant ma presence importune
Veut que je quitte Amour pour
suivre la fortune
De quoy vous servira le triste souvenir
Dont vous
avez dessein de vous entretenir?
PASITHEE.
Cet agreable objet de merite, & de gloire,
Conservera ce bien au
moins à ma memoire
Que tenant occupez mon coeur, & mes espris

Il les empeschera d'estre jamais surpris,
Dez que d'un courtizan je
seray regardée:
Aussi-tost consultant cette divine Idée,
Je luy
tesmoigneray qu'après des feux si beaux
Je ne sçaurois brusler pour
de moindres flambeaux:
Si quelqu'un me pretend par le nom de fidele,

Je diray: Mon Amant en estoit le modele;
Et pour oster l'espoir aux
plus ambitieux
Vostre gloire sera la honte de leurs yeux;
Je leur
proposeray vos vertus pour exemples,
Vos rares qualitez qui meritent
des Temples,
Vos faits, vostre valeur, vostre discretion,
Et sur tout
vostre amour, & mon affection.

EURIMEDON.
Que mon destin (Madame) a d'estranges caprices!
Voyez combien de
fiel altere mes delices,
Au point du desespoir il me veut resjouir,
Et
m'offre des faveurs quand je n'en puis jouir.
PASITHEE.
L'amour (Eurimedon) faict de plus grands miracles,
Pour sçavoir vos
ayeux consultez les Oracles,
Et si je manque alors à ce que j'ay
promis,
Je consens que les Dieux soient tous mes ennemis.
EURIMEDON.
Pour arres de ce bien dont mon ame est ravie,
Ma Reyne permettez
que je laisse ma vie
Eurimedon se panche pour luy baiser le sein
Sur ce superbe Autel où mon coeur enflammé
N'attend que le
bon-heur de se voir consommé.
SCENE DEUXIESME.
EURIMEDON, PASITHEE,
ARCHELAS, FALANTE.
ARCHELAS mettant la main à l'espée.
Insolent bien plustost mon courroux legitime
Te va faire servir à mon
bras de victime.
FALANTE.
Ah Sire!
ARCHELAS.
Laisse-moy punir ce suborneur,
Qui faict de mon Palais le tombeau

de l'honneur.
PASITHEE à Eurimedon.
Seigneur au nom des Dieux evitez sa colere.
EURIMEDON s'en allant.
Ah de tant de bien-faits trop indigne salaire!
ARCHELAS.
Mais d'un acte insolent juste punition.
PASITHEE.
Si vous examiniez quelle est sa passion
Elle vous feroit voir
beaucoup de modestie.
ARCHELAS.
Vous voulez contre moy vous rendre aussi partie
Madame: & vous
croyez que son impunité
Authorise à present vostre temerité?
PASITHEE.
Non Sire; Mais en vous le Ciel veut que j'espere
La clemence d'un
Juge, & la bonté d'un pere;
Afin de m'excuser si ma civilité
A
despleu maintenant à vostre Majesté.
ARCHELAS.
Comme Juge je dois chastier son offence,
Et comme pere aussi
corriger la licence,
Qui vous a faict donner à ce jeune effronté
Tant
d'injustes faveurs & tant de privauté.
PASITHEE.

Sire je ne pouvois à moins d'estre incivile
À mon liberateur estre plus
difficile,
Si ce Prince a receu quelque chose de moy
Vous m'avez le
premier imposé cette loy,
Et sa propre vertu me forçoit de luy rendre

Les devoirs que l'honneur ne me pouvoit deffendre:
Tantost vous
admiriez ce Prince genereux,
Pour le mesme à present vous estes
rigoureux;
Je dois à ce Guerrier le jour que je respire,
Vous voulez
toutesfois qu'il sorte de l'Empire,
Et trompant son espoir avec un faux
accueil
Vous promettez un throsne, & donnez un cercueil.
ARCHELAS.
Qu'a faict ce Chevalier? Et que doit-il pretendre!
Si ce qu'il a sauvé
luy-mesme il le veut prendre,
Et ne vous a rendue à la Cour
seulement
Que pour pescher icy plus magnifiquement,
Vous
souffrez toutesfois que seul il vous cajolle,
Contre un pere pour luy
vous prenez la parole,
Il baise librement & la bouche, & le sein,
Et
tout cela chez vous passe pour bon dessein:
Sa conversation est la
mesme innocence,
En parler seulement c'est commettre une offence:

Croyez que si le faict se passe impunément
Je n'ay plus de
memoire ou de ressentiment,
Et que ne pouvant pas vous
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