Eurimedon | Page 5

Nicolas Mary
de quelle façon?
EURIMEDON.
Je cognus par l'excez de la melancolie
Où l'ame de ce traistre estoit
ensevelie,
Qu'une forte douleur agitoit son esprit,
Comme par ce
discours sa bouche me l'apprit:
Grand Prince (me dit-il) ne trouvez
pas estrange
Si dans cette prison où le destin me range
J'ose faire
paroistre un extreme soucy
Malgré tant de faveurs que je reçois icy:

Je ne souffre pas seul, tout un peuple souspire,
Et le fort d'Araxés
est celuy de l'Empire,
Encore que ce point soit assez important
Ce
n'est pas toutesfois ce qui m'afflige tant
Un mal-heur plus pressant
attaque ma fortune,
Amour voulant trahir est trahy par Neptune;
Et
la mesme prison qui me tient arresté
Me ravit ma maistresse avec ma
liberté.
Cet objet (reprit-il) s'appelle Pasitée,
Je l'aymay des l'instant
que je l'eus visitée,
Et nous sommes unis par de si doux accords

Que vous n'avez de moy seulement que le corps:
Cette princesse en a
la meilleure partie;
Sa parolle à ces mots en souspirs convertie

Parut plus esloquente en son affection,
Et porta mon esprit à la
compassion.
PASITHEE.
Ah! que favorisant cette ame criminelle,
Vostre pitié me fut

rigoureuse, & cruelle!
EURIMEDON.
Il est vray: mais aussi mon bras a reparé
Le mal que mon esprit vous
avoit preparé,
Et si lors je faillis, ce fut par innocence;
Comme je le
croyois d'une illustre naissance
Je creus que son amour, & ses
intentions
Avoient quelque rapport à vos perfections,
Outre que je
voulois renoncer à la vie
Qu'à regret ma jeunesse a trop long-temps
suivie.
À cette occasion je luy dis le dessein
Que la gloire &
l'honneur m'avoient mis dans le sein,
Et que mon coeur pressé d'un
plus noble genie
Vouloit me delivrer de cette tyrannie,
Où ma
valeur rebelle à ses propres effets
Plaignoit le plus souvent ceux
qu'elle avoit deffaits;
Luy pour me tesmoigner une amitié parfaite

M'offrit dans ses estats une seure retraitte,
Et moy pour obliger ce
malheureux Amant
J'accompagnay de dons son eslargissement:

Nous prismes rendez-vous; Après son ambassade
Il devoit dans deux
mois m'attendre en la Troade
Où mon navire alloit heureusement
ancrer,
Quand mon sort & le sien me l'ont fait rencontrer.
Mais que
je fus d'abord confus en cet orage,
Quand son casque levé me montra
son visage,
Il le faut advouer, mon esprit incertain
Ne pouvoit
approuver les efforts de ma main,
Je plaignois son malheur, je
blasmois mon courage,
Mon bras se repentoit d'avoir fait cet outrage,

Et si vostre pitié n'eust signé son pardon,
J'eusse lavé son crime au
sang d'Eurimedon.
PASITHEE.
Le sien ne fut jamais digne de ce meslange
Ne le regrettez point vous
gaignerez au change,
Vous m'avez secourue, & le Ciel l'a permis

Pour vous donner icy de plus nobles amis.
EURIMEDON.
Madame,

PASITHEE.
Poursuivez.
EURIMEDON.
Je ne puis.
PASITHEE.
Quelle crainte
Vous faict aupres de moy vivre en cette contrainte?
EURIMEDON.
Permettez moy Madame.
PASITHEE.
Achevez.
EURIMEDON.
D'esperer.
PASITHEE.
Esperez.
EURIMEDON.
Ah Madame! Il vous faut adorer.
Car pourveu que le coeur à la
bouche responde
Je me tiens desormais le plus heureux du monde;

Mais à ce grand bon-heur Tygrane espere aussi.
PASITHEE.
N'importe (Eurimedon) laissez moy ce soucy,
Si vostre amour est
grand comme vostre courage
Je sçauray bien aussi vous donner
l'advantage.

ALERINE.
Madame parlez bas, j'entends venir quelqu'un.
PASITHEE.
Sans doute (Eurimedon) c'est ce Prince importun.
SCENE SECONDE
EURIMEDON, PASITHEE, TYGRANE.

TYGRANE.
Depuis vostre retour (divine Pasithée)
Si je ne vous ay pas aussi-tost
visitée,
Ne vous figurez point que l'oubly du devoir
M'ayt rendu
moins ardent au desir de vous voir:
Si j'avois sçeu plustost cette
heureuse nouvelle
Vous auriez de mes soins une preuve fidelle,
Que
je vous suis tousjours par inclination,
Ce que je vous seray par
obligation.
Se tournant vers Eurimedon:
Grand Heros si jamais le destin plus propice
M'offre l'occasion de
vous rendre service.
EURIMEDON.
Seigneur, je ne suis pas digne de cet honneur
Puisque ce que j'ay faict
se doit à mon bon-heur,
Je beny toutesfois mon heureuse fortune

Qui m'a mis à propos sur le sein de Neptune,
Pour punir les autheurs
de son enlevement
Et faire de leur sang vostre contentement.
PASITHEE.
Grands Princes: je vous suis à tous deux obligée,
Et les soins de tous
deux m'ont si fort engagée,
Que je devrois rougir de donner
seulement
Pour de si bons effets un mauvais compliment;

Toutesfois en ce point cette raison me flatte,
Qu'il vaut bien mieux
paroistre ignorante, qu'ingratte.

TYGRANE.
Pour souffrir ce reproche, & l'esprit & le corps
Font en leurs qualitez
de trop charmans accords.
PASITHEE.
Si j'avois plus d'orgueil, & moins de modestie,
Je pourrois advouer
l'une & l'autre partie,
Mais Tygrane apprenez que je sçay mes
deffaux.
TYGRANE.
Si c'est par le miroir apprenez qu'il est faux,
Et qu'inutilement vous
consultez sa glace
S'il ne vous y fait pas remarquer vostre grace.
EURIMEDON.
Il a pour ses attraits trop de fidelité.
PASITHEE.
Et vous pour me flatter trop de civilité:
Quoy donc après la paix, vous
me donnez la guerre?
Vous me sauvez en mer, & m'attaquez en terre?

Desirez-vous encore un triomphe nouveau?
EURIMEDON.
Non je veux ma deffaite en un combat si beau.
PASITHEE.
Vous ne prendrez donc pas le soin de vous defendre.
TYGRANE.
On se defend en vain quand le coeur se va rendre.

PASITHEE.
Il est vray, mais
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