Eurimedon | Page 4

Nicolas Mary
par mes cris ta colere irritée

Emporte ma parole avecque Pasithée!
Je la suivray pourtant, & mes
tristes vaisseaux
Feront si promptement le grand tour de tes eaux,

Que je te forceray de me rendre ma Reyne,
Ou d'achever ma vie en
achevant ma peine.
SCENE QUATRIEME
FALANTE, TYGRANE.
FALANTE.
Où courez-vous Tygrane? Et quel aveuglement
Vous oblige à revoir
ce perfide Element,
Cependant que la Cour retentit d'allegresse,
Et
benit le retour de sa chere Princesse.
TYGRANE.
De qui?
FALANTE.

De Pasithée.
TYGRANE.
Ô rare invention!
Croy-tu par ce moyen calmer ma passion?
Non
(Falante) sa perte est par trop veritable
Pour cesser mes transports au
recit d'une fable.
FALANTE.
Tygrane, mon discours a tant de verité
Qu'il peut vaincre aisément
vostre incredulité,
Si pour rendre à vos yeux la nouvelle certaine
Il
vous plaist seulement d'entrer à Mitylene,
Là vous verrez l'objet qui
vous fit amoureux
Et le liberateur qui vous a faict heureux.
TYGRANE.
Quel est ce Chevalier, est-il de cognoissance?
FALANTE.
Non, c'est un estranger, mais d'illustre naissance,
On le traite de
Prince, & son port gracieux
Ne degenere point de ce nom glorieux,

Cet auguste guerrier singlant devers cette Isle
Se venoit rafraischir à
la premiere ville,
Quand il a rencontré le funeste vaisseau
Qui
mettoit vostre espoir & l'Infante au tombeau.
Comme il s'en
approchoit d'une extreme vitesse,
Il ouit cette voix (sauvez une
Princesse)
Aussi-tost abordant ce traistre Galion
Il s'eslança dedans
plus hardy qu'un Lyon,
Malgré ses ravisseurs delivra Pasithée,
Et
mit à fonds la nef qui l'avoit emportée.
Ce genereux heros apres ce
grand effort
S'offrit incontinent de la remettre au port,
Mais avec
tant de grace, & tant de bien-vueillance
Qu'il rendit son respect esgal
à sa vaillance,
Et l'Infante advoua qu'une telle action
Fit voir moins
de valeur que de discretion.
TYGRANE.

Dieux que je suis confus! & que cette nouvelle
Me semble en mesme
temps agreable, & cruelle!
Deux mouvemens divers tyrannizent mon
coeur,
J'ayme bien ce retour, mais je crains son autheur.
Son merite,
son port, sa valeur esprouvée,
Cette discretion de ma Reyne
approuvée
Sont autant de Devins qui predisent mon mal,
Et d'un
liberateur me feront un rival:
Ainsi mes sentimens divisez en
moy-mesme
Emportent mon esprit de l'un à l'autre extreme.
Quand
je songe au bon-heur qu'il nous a procuré
Aussi-tost je conclus qu'il
doit estre adoré:
Mais apres combatu d'un mouvement contraire

L'objet que j'ay flatté commence à me desplaire,
Et si quelque devoir
m'oblige à le cherir
Je croy baiser la main qui me fera perir.
FALANTE.
Delivrez vostre esprit de cette fantaisie
Permettez à l'Infante un peu
de courtoisie,
Vous aurez son amour, luy sa civilité;
Cet honneur
est un prix qu'il a bien merité,
Et mesme vous devez (au moins par
complaisance)
De quelque complimens honnorer sa presence.
TYGRANE.
Hé bien (Falante) allons luy rendre ce devoir,
Et vous mes tristes
yeux preparez-vous de voir
L'Astre de mon amour, & l'object de ma
crainte;
Toustesfois insolents dedans cette contrainte
Que vos
jaloux regards ne me trahissent pas,
Mais lisez en riant l'arrest de mon
trespas.
ACTE II.
SCENE PREMIERE
EURIMEDON, PASITHEE,
ALERINE.
EURIMEDON.
Madame, excusez-moy si voyant tant de grace
J'ayme vos ennemis &
cheris leur audace,
Puisque les mesmes traits qui vous ont fait trahir

Ne me permettent pas de les pouvoir haïr:
Cette rare douceur, ces
apas, & ces charmes,
Contre un foible mortel sont de trop fortes

armes,
On ne peut eviter l'atteinte de leurs coups,
Le coeur qui les
reçoit mesme les trouve doux:
Et quoy que la raison à nos desirs
oppose
Vous voir & vous aymer n'est qu'une mesme chose.
De la
sorte Araxés se sentant consommer,
Pour esteindre ses feux eut
recours à la mer,
Mais vos yeux plus puissans que le flambeau du
monde
Brulent esgalement sur la terre, & sur l'onde;
Et son coeur
amoureux par ce tour impudent
Eust sans moy sur les eaux fait un
naufrage ardent:
En fin mon sentiment contre vous se rebelle,
Je
pardonne aux transports d'une faute si belle,
Et ne me puis resoudre à
blasmer un effect
Qui me permet de voir un object si parfaict.
PASITHEE.
Je suis (Eurimedon) trop peu considerable
Pour vous rendre envers
luy de beaucoup redevable:
Et quand j'aurois assez de grace & de
beauté
Pour toucher un guerrier de vostre qualité,
Vostre vertu vous
donne assez de privilege
Pour n'avoir pas besoin d'un Prince sacrilege.

Mais qu'est-il devenu depuis vostre retour,
Je croy qu'il n'oseroit se
monstrer à la Cour,
Mon abord luy faict peur ou bien sa conscience

Luy conseille de vivre en cette deffiance
Mais il craint vainement.
EURIMEDON.
Je ne sçay si le sort
Ou sa timidité l'ont esloigné du port
Mes gens
pour le trouver ont tourné toute l'Isle
Mais sa fuitte a rendu leur
recherche inutile.
PASITHEE.
Que les Dieux pour jamais l'exilent de Lesbos
Pour mon
contentement, & pour vostre repos
Mes yeux n'ont que trop veu ce
Prince abominable
Dont la rage a pensé me rendre miserable,
Et
vous n'avez vangé mon honneur qu'à demy
Si vous n'abandonnez un
si perfide amy.

EURIMEDON.
Vos voeux seront suivis de mon obeissance,
Mais (Madame)
apprenez que nostre cognoissance
Venant plus du hazard que de mes
volontez
Je ne prens point de part en ses meschancetez.
Un jour aux
environs des costes de l'Epyre
Il fut pris, & mené prisonnier en
Corcyre,
Mais lors qu'il attendoit le prix de sa rançon
Ma pitié le
sauva.
PASITHEE.
Dieux!
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 22
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.