Etudes sur la Littérature Française au XIXe siècle | Page 8

Alexandre Vinet
n'accorda que de très légères corrections.
Il ne pouvait faire autrement. Même avec le grand désir d'entente dont il était animé, il ne lui était pas possible de souscrire aux voeux de la famille de Sta?l. L'essentiel des le?ons de Vinet sur l'auteur de Corinne e?t été sacrifié. Vinet avait parfaitement vu--ce que tout le monde voit aujourd'hui, et en partie grace à lui--que l'oeuvre de Madame de Sta?l s'explique tout entière ?par le besoin d'affection dont la nature avait fait le plus vif de ses penchants?, par l'éducation tendre et indulgente qu'elle re?ut de son père et qui ?exalta ce penchant?, par la déception enfin que lui causa ?un mariage malheureux?. Supprimez ces trois points il ne reste plus rien des le?ons de Vinet sur Madame de Sta?l. Elles s'écroulent par la base. Ce sont trois points d'appui. Or ce sont précisément ces trois points que la famille voulait supprimer.
Le comité refusa. Il refusa nonobstant les lettres pressantes de M. Lutteroth et de M. Scholl. M. Lutteroth écrivait le 17 ao?t 1848, faisant allusion aux passages où il est question du mariage de Madame de Sta?l:
?Ces mots me paraissent justifier la peine qu'on en ressent, et si le comité n'y tient pas, je verrais avec plaisir qu'on accorde quelques retranchements.?
M. Scholl communiquait au comité la copie d'un billet de Mme Auguste de Sta?l à une de ses amies:
?Je suis au fond désolée de cette publication et gênée de me trouver complice. Rien ne pouvait m'être plus pénible que de voir para?tre un volume de M. Vinet que je ne pourrai ni louer ni prêter, et dont le succès sera, à un certain degré, une souffrance. Notre chère Mme Vinet, à qui je n'ai pas dit--à beaucoup près--toute ma pensée, en souffre aussi.?
M. Scholl ajoutait:
?Ce billet vous prouvera qu'on a jugé trop favorablement des impressions de Madame de Sta?l sur la publication qui nous donne tant de mal. Vous y verrez qu'elles sont beaucoup plus pénibles que vous ne le pensiez, vous et ces Messieurs.? (à M. Chappuis, 6 octobre 1848.)
MM. Scholl et Lutteroth étaient assurément fondés à présenter les objections de Mme Aug. de Sta?l, et, dans une certaine mesure, à les appuyer. Ces objections étaient inspirées par un sentiment respectable. Mais ils allaient un peu loin sans doute quand ils concluaient que ?ces retranchements seraient conformes à l'esprit de M. Vinet[45].? Vinet e?t peut-être adouci quelques-unes de ses expressions, d'ailleurs fort douces--et cela n'e?t point suffi,--mais il n'aurait pu faire les amputations demandées sans détruire son oeuvre. Mieux e?t valu ne rien publier. Il est infiniment vraisemblable que c'est à ce dernier parti qu'il se serait arrêté. Ses éditeurs n'avaient pas le choix. Ils ont fait exactement ce qu'ils devaient faire.
Je donne ici en deux colonnes la liste des suppressions demandées et les réponses du comité.
Suppressions demandées. Réponses du Comité.
Qu'une ame vive, qu'une raison Le Comité consent à active comme celles de Mme de supprimer cette phrase. Sta?l en aient moins aimé la morale du devoir et la religion positive, il ne faut pas s'en étonner.
Il (M. Necker) attendrit de bonne Le Comité supprime: heure cette jeune ame, l'accoutuma lui en donna au bonheur du coeur, lui en donna l'insatiable besoin. l'insatiable besoin, et dans l'extrême félicité de sa jeunesse prépara peut-être le malheur de sa vie entière.
La tendresse indulgente et expansive Le Comité maintient ce de M. Necker, des relations passage. délicieuses dont une admiration réciproque formait la base ou le trait dominant exaltèrent peut-être jusqu'à l'excès chez Mme de Sta?l le besoin d'affection dont la nature avait fait, je crois, le plus vif de tous ses penchants.
Le mariage de pure convenance, Le Comité supprime: c'est-à-dire de vanité, auquel, c'est-à-dire selon toute apparence, elle se soumit de vanité. par déférence était bien peu dans son caractère.
Nous n'avons d'autres Le Comité supprime: renseignements sur cette union profond que le profond silence qu'elle Le Comité supprime: et a gardé sur ce sujet dans ses introduit volontiers les écrits où elle répand toute son personnages qui ame et introduit volontiers les l'intéressent. personnages qui l'intéressent.
Ce silence parle assez haut Le Comité maintient. quand on se rappelle que l'amour dans le mariage était aux yeux de Mme de Sta?l l'idéal du bonheur en ce monde.
Sans insister sur ce point Le Comité supprime: délicat, disons seulement que délicat. toute la vie, tous les écrits de cette femme illustre trahissent et respirent un désappointement douloureux, une soif trompée...
Nous avons indiqué un premier Maintenu. malheur qui fut pour elle un de ces deuils muets qu'on porte dans l'ame et qu'on ne dépose jamais.
Bonaparte fut petit; Mme de Maintenu. Sta?l ne mit peut-être pas assez de dignité dans ses regrets.
Elle frappe à coups redoublés Le Comité accorde la sur les passions; l'on serait suppression des mots: tenté de croire qu'elle a ses l'on serait tenté de
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