Etudes sur la Littérature Française au XIXe siècle | Page 7

Alexandre Vinet
était l'oeuvre du rêveur de 1835.
Or il n'en est pas. Une lettre de M. Lutteroth à M. Samuel Chappuis (8 déc. 1848) l'attribue formellement à M. Bost[43]. M. Chappuis avait eu la même impression que moi: il s'était trompé; nous nous étions trompés. L'article est néanmoins à retenir, sinon dans son entier du moins dans les vingt ou trente lignes qui pourraient le mieux être de Vinet. Les voici:
?Quelquefois M. de Chateaubriand pose en fait que le Christianisme est l'oeuvre de Dieu pour le relèvement de l'homme; mais explique-t-il bien ce que c'est que ce relèvement? Il me semble qu'il entend par là simplement l'amélioration de son état moral et social, de sa condition sur la terre, et non point sa réhabilitation dans un état primitif de conformité avec Dieu, de vie spirituelle et de sainteté. Ce qu'il appelle les bienfaits du Christianisme s'étend à l'humanité en général et se borne à la vie présente, c'est-à-dire à un ordre de choses temporaire et de courte durée pour chacun de ceux qui en font partie. à ses yeux le Christianisme opère en grand: c'est un levier pour les masses, un résultat pour les masses; les biens qu'il produit sont ses généralités comme l'abolition de l'esclavage, l'égalité morale et sociale de la femme, l'adoucissement des moeurs, etc. Choses qui ne sont que des conséquences éloignées de la conséquence immédiate de la foi chrétienne, le changement du coeur. Remarquons bien, car c'est là le trait saillant du Christianisme des études, qu'en fournissant aux hommes des motifs et des moyens nombreux d'être bons pour ce monde et heureux dans ce monde, il les laisse étrangers à cette autre vie qui, de toutes manières, est la portion importante de leur existence, et qu'en excitant leur sympathie pour ce qui est beau et élevé, il les laisse complètement indifférents et froids à l'égard de Dieu en qui est la perfection de toute beauté et de toute grandeur.?
Il me para?t que les historiens de la pensée de Vinet devront tenir compte de ce ?précurseur[44]?.

III
J'en viens aux quatre ou cinq mots et aux deux ou trois membres de phrase du cours sur Madame de Sta?l qui ont une histoire. Cette histoire mérite d'être contée. Elle fera voir à quelles difficultés inattendues se sont heurtés les premiers éditeurs et comment ils s'en sont tirés.
Je recueille les éléments de mon récit dans un paquet de vieilles lettres qui ont été récemment données à la Faculté de théologie de l'église libre du canton de Vaud: c'est la correspondance du comité d'Edition Vinet de 1848. Un de ses membres, M. Lutteroth, résidait à Paris où il préparait et surveillait l'impression des volumes. M. Lutteroth se tenait en rapports constants avec ses collègues de Lausanne, MM. Scholl, Chappuis, Forel et Ch. Secrétan.
Le 15 janvier 1848 M. Lutteroth, qui allait mettre sous presse le volume sur Madame de Sta?l et Chateaubriand, écrivait à M. Samuel Chappuis:
?Je crains--ceci bien entre nous--que la publication de certains passages relatifs à Madame de Sta?l n'afflige beaucoup sa famille: on me l'a fait comprendre; comme c'étaient des meilleurs amis de M. Vinet, je suis bien s?r qu'il y aurait eu égard, mais c'est plus malaisé pour d'autres que pour lui. Cette circonstance me donne quelque inquiétude.?
M. Samuel Chappuis répondit au nom des membres du comité de Lausanne que ?l'observation méritait toute considération, qu'il importait d'examiner si la difficulté était sérieuse et comment on pourrait la lever.?
On chargea M. Scholl de voir la famille de Madame de Sta?l et de chercher avec elle les moyens de concilier les intérêts en présence. On ne voulait ni blesser la famille de Madame de Sta?l ni dénaturer le texte de Vinet, ni, surtout, laisser croire que Vinet avait pu dans son cours manquer à la bienséance et à la discrétion, ce que les lecteurs peu avertis n'auraient pas hésité à penser si l'on avait fait des coupures trop évidentes et des ?raccords? trop pénibles. Ce qui rendait la tache du négociateur particulièrement difficile, c'est la part financière que la belle-fille de Madame de Sta?l avait prise dans l'édition de l'oeuvre de Vinet: elle la soutenait largement. On devait aussi songer à ne pas faire de la peine à Mme Vinet qui suivait avec sollicitude les travaux du comité et qu'un débat de cette nature aurait certainement chagrinée.
Le comité de Lausanne pensait que la difficulté n'était pas sérieuse et que M. Scholl triompherait aisément des scrupules de la famille. Il se trompait du tout au tout, et c'était M. Lutteroth qui avait raison d'éprouver quelque inquiétude. ?Le terrain est extrêmement délicat?, écrivait M. Scholl à M. Lutteroth après avoir vu Mme Auguste de Sta?l. M. Scholl comprit que les négociations seraient longues et laborieuses. Elles durèrent huit mois. Disons tout de suite que le comité défendit ligne par ligne les passages incriminés et qu'il
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