Etudes sur la Littérature Française au XIXe siècle | Page 9

Alexandre Vinet
propres injures à venger. croire qu'elle a ses propres injures à venger.
Les amendements du comité de 1848 se réduisent donc à fort peu de chose. Quelques-uns même par leur apparente insignifiance font sourire. Par exemple Vinet avait écrit: ?Sans insister sur ce point délicat.? Le comité supprime délicat. On est tenté de se demander si cette concession accordée à la partie adverse n'est pas une aimable plaisanterie. Point tant que cela--en y réfléchissant. Le comité conciliait. Il ne voulait rien sacrifier de la pensée de Vinet, mais il ne demandait pas mieux que de rayer tout mot capable d'éveiller chez le lecteur une curiosité facheuse. à ce point de vue il avait raison de supprimer délicat. Car dire qu'on n'insiste pas sur un point délicat cela revient excellemment à y insister; cela appelle l'attention sur la délicatesse du cas: c'est plein, ou cela para?t plein de sous-entendus. C'est ce qu'on appelle une prétérition et il n'y a rien de plus dangereux que des prétéritions, si ce n'est les parenthèses. J'enlève délicat, et mon petit bout de phrase redevient la transition la plus honnête du monde. Le lecteur passe sans s'arrêter. Et le tour est joué. Car précisément il ne fallait pas qu'il s'arrêtat. Le comité de 1848 connaissait le coeur humain.
Il faut ajouter que le comité de 1848 était d'autant plus fondé à se montrer intransigeant que personne avant Vinet, non pas même Sainte-Beuve, n'avait parlé de Madame de Sta?l avec plus de sympathie, plus de respect que le professeur lausannois. Si c'en était ici le lieu, j'aimerais à faire voir que Vinet aimait et vénérait dans l'auteur de l'Allemagne son premier professeur de littérature, et que c'est dans le fameux chapitre sur l'enthousiasme qu'il avait puisé dès ses débuts quelques-unes de ses idées. Mais en voici assez et même trop pour une simple introduction.
Paul Sirven.
Les notes suivies de la mention: (Ed.) sont tirées de l'édition de 1848.

I
MADAME DE STA?L ET CHATEAUBRIAND
Cours professé à l'Académie de Lausanne en 1844.

INTRODUCTION
De la Littérature de l'Empire.
Une nuance de ridicule s'attache, dans bien des esprits, à ces mots: la Littérature de l'Empire. Cette impression s'explique, si elle ne se justifie pas. Ni l'originalité, ni une fécondité vigoureuse, n'ont caractérisé, dans son ensemble, la littérature de cette époque.
L'éloquence, réduite à la harangue officielle et vouée à l'adulation, répétait Pline le jeune après avoir ressuscité Démosthène. L'histoire, qui, pas plus que l'éloquence, ne se passe de liberté, savait trop bien qu'elle ne devait pas tout dire, sans bien savoir ce qu'elle devait taire; car les instincts du despotisme sont plus profonds et plus délicats que ceux de la servilité. Une philosophie illibérale dans ses principes continuait, après plus d'un demi-siècle, à être le symbole et le signe de ralliement des amis de la liberté; car la religion, en France, ayant pris parti pour le despotisme, l'esprit de liberté avait arboré les tristes couleurs du matérialisme, et à l'aurore du nouveau siècle, un despote, en contractant alliance avec la religion, avait resserré l'alliance du libéralisme avec l'incrédulité. Et quoi qu'il en soit, la seule philosophie qui f?t debout, devait rallier les caractères indépendants, puisque enfin c'était une philosophie, c'est-à-dire l'esprit humain se professant libre; et c'est ainsi que des instincts généreux et une association arbitraire d'idées prolongeaient, au delà de toutes les bornes, la fortune d'une doctrine sans profondeur comme sans élévation. La poésie avait traversé sans se renouveler toutes les phases de la Révolution; elle vivait, ou plut?t elle se mourait, à l'ombre de la tradition et de l'autorité; elle n'était bient?t plus que l'écho d'un écho: plus d'indépendance dans les formes, plus de nouveauté dans l'inspiration, e?t inquiété à bon droit un despotisme ombrageux, qui savait qu'il importe peu sous quelle forme et sur quel terrain la liberté éclate, pourvu qu'elle éclate. Les théories littéraires étaient timides et méticuleuses comme la littérature elle-même; à la religion du beau s'était substituée je ne sais quelle orthodoxie têtue, retranchée derrière quelques axiomes étroits et contestables. On poussait à l'absolu la maxime de Buffon, que ?c'est le style qui fait vivre les ouvrages,? comme si le style y pouvait suffire sans les pensées, et comme si un grand style pouvait s'attacher à des pensées médiocres. En exaltant la puissance du style, on en avait abaissé la notion: on confondait le style avec la diction. La littérature s'en tint à des formes pleines d'élégance et de pureté; la sévérité un peu froide introduite dans les arts du dessin avait passé dans tous les autres. On fêtait le siècle de Louis XIV, on e?t voulu le renouveler, et l'on ne faisait que prolonger, en poésie aussi bien qu'en philosophie, le dix-huitième siècle. Les génies novateurs étaient admirés avec crainte, suivis de loin, imités avec défiance; la poésie, comme un fleuve épuisé par les chaleurs de l'été, ne roulait plus dans
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