Etudes sur la Littérature Française au XIXe siècle | Page 6

Alexandre Vinet
étranger dans aucune enceinte lorsque j'y trouve cette foi en la divine charité... et cette bonne volonté, cette candeur du repentir, qui sont la consolation, la couronne et l'humble triomphe de notre existence foudroyée...
?... Mais veuillez, Monsieur, ne pas voir en moi le protestant seulement, c'est-à-dire peut-être l'adversaire, mais le chrétien, c'est-à-dire le frère. Ce mot seul peut exprimer tout ce qui se mêle d'affectueux à notre admiration[40]...?
à quoi Chateaubriand:
Paris 24 juin 1844.
?Oui, Monsieur, nous sommes frères: Voilà le grand mot chrétien; il dit tout; il va surtout à un homme qui, comme moi, touche à sa fin et qui ne demande aux hommes qu'un souvenir à travers Dieu, le père commun de tous les hommes. Vous verrez, Monsieur, ma simplicité dans l'étonnement où je me suis trouvé lorsque j'ai vu que Rancé faisait tant de bruit, quand j'avais cru que cet ouvrage passerait inaper?u[41]. Il contenait des erreurs qui vont dispara?tre dans la première (deuxième?) édition que l'on va en donner. Mais qui est-ce qui s'apercevra de mes corrections? qui est-ce qui se soucie de la conscience historique? Il suffit qu'il se trouve un homme comme vous, pour me consoler d'un travail auquel on n'attachera aucun prix.
?Agréez, Monsieur, je vous prie, mes remerciements les plus sincères et l'assurance d'une considération qui n'aura bient?t d'autre intérêt pour vous que l'intérêt qu'un souvenir prend dans la mort. Vous voyez, Monsieur, où j'en suis; je puis à peine signer[42].?
Vinet ne répondit pas à cette dernière lettre; il n'avait pas à répondre: il y aurait eu de sa part quelque indiscrétion à prolonger l'entretien. Toutefois il donna dans le Semeur du 28 ao?t 1844 un court article sur la deuxième édition de la Vie de Rancé qui est bien une réponse, et celle, sans aucun doute, que Chateaubriand désirait. Vinet dans ses deux articles sur Rancé avait été assez dur pour Chateaubriand. Il faut ajouter que ses sévérités étaient justifiées. Chateaubriand d'ailleurs--on vient de le voir--avait fait des corrections à son oeuvre en vue d'une seconde édition. Il avait tenu compte des avertissements de Vinet. Et si l'on veut bien lire entre les lignes de la lettre que nous venons de citer, on verra qu'il souhaitait que Vinet rend?t publiquement justice à ses efforts. Vinet comprit; au surplus Vinet de son c?té ne désirait qu'une chose, c'est qu'un auteur qu'il avait d? maltraiter lui fourn?t l'occasion d'un jugement plus doux. Dès que parut la deuxième édition de Rancé il s'empressa de la comparer à la première, et cette comparaison faite, d'envoyer au Semeur un article que M. de Chateaubriand dut lire avec plaisir.
Agenda:
19 ao?t.--Collationné les deux éditions de la Vie de Rancé.
20 ao?t.--écrit un article sur la deuxième édition de la Vie de Rancé.
23 ao?t.--Envoyé au Semeur l'article sur la deuxième édition de la Vie de Rancé.
Cet article n'a pas été publié intégralement dans les précédentes éditions de l'oeuvre de Vinet. On n'en a recueilli que les premières lignes qu'on a mises en note au bas d'une des pages de la première étude sur Rancé. Nous le donnons dans son entier à la fin du présent volume.
J'en aurais fini avec les articles de Vinet sur Chateaubriand s'il ne me restait encore un point à signaler.
Le Semeur du 18 ao?t 1832 contient un article de philosophie religieuse sur ?le christianisme de M. de Chateaubriand dans ses études historiques.?
Je m'étais demandé si cet article était de Vinet bien qu'il ne figurat ni dans les éditions antérieures, ni--ce qui est plus notable--dans une liste que M. Lutteroth a dressée de tous les écrits de Vinet que ses collaborateurs et lui avaient d? négliger.
J'avais quelques raisons d'attribuer cet article à Vinet: il est tout à fait dans sa manière; on y trouve le tour habituel de son style, ses images et surtout sa pensée.
L'auteur en effet y oppose deux conceptions différentes du relèvement de l'homme par le christianisme, l'une qui fait consister ce relèvement dans l'amélioration de son état moral et social, l'autre qui le met ?dans le changement du coeur.? Or il est certain que bien souvent Vinet a reproché à Chateaubriand que son christianisme visat plut?t à transformer l'homme social qu'à faire rena?tre l'homme individuel. Voyez par exemple les dernières lignes de l'article sur la Littérature anglaise.
Voyez surtout un passage de l'Agenda qui est très significatif à cet égard. Il fait suite à celui que j'ai cité plus haut, et où Vinet raconte qu'il a conversé en rêve avec M. de Chateaubriand.
?Je l'interroge sur le christianisme des études historiques: ?Le christianisme, me dit-il, et le progrès social sont une même chose.?--Ce que j'ai contredit et rectifié.?
N'y a-t-il pas une analogie frappante, me disais-je, entre cette conversation rêvée sur le christianisme des études historiques et l'article que j'ai sous les yeux et qui n'est point une rêverie?
J'inclinais donc très fortement à croire que l'article de 1832
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