Si l'on persiste alors à me conseiller d'imprimer, je me croirai obligé d'y penser plus sérieusement. Jusque-là, très chers, trop bons amis, pardonnez-moi de croire que votre amitié vous aveugle...?
Et Vinet revenait à son idée du Semeur:
?Il me semble d'ailleurs que l'insertion de quelques morceaux dans le Semeur sera une manière de sonder le terrain. On verra si les fragments font plaisir, et jusqu'à quel point. N'êtes-vous pas de mon avis[18]??
M. Lutteroth ne se mit point en quête de l'éditeur que souhaitait Mme Vinet. D'autre part on chercherait vainement dans le Semeur ?les fragments? que Vinet e?t été heureux d'y insérer. Une lettre de Vinet à Lutteroth, du 10 juillet 1844, nous permet de croire que le directeur du Semeur lui avait fait entendre que ce cours ne serait pas à sa place dans le journal:
?Quant à mon cours de littérature, j'ai eu tort d'en parler; laissons tomber cela. Toute autre raison à part, je répugnerais à publier du vivant de M. de Chateaubriand un livre où il est mal traité[19].?
Au surplus, la Vie de Rancé venait de para?tre. Vinet allait pouvoir parler de Chateaubriand à propos d'une actualité--comme on dit aujourd'hui--et non à propos des Martyrs, de l'Itinéraire, ou d'Atala, vieux de près d'un demi-siècle.
?Je re?ois à l'instant la Vie de Rancé; je pense qu'il convient de s'en occuper tout de suite. Vienne un bon moment, ce ne sera pas une grande affaire. J'attendais sous ce titre autre chose que cela, mieux dans un certain sens; j'avais dans mon cours, pronostiqué, désiré du moins un René chrétien, mais enfin c'est toujours du Chateaubriand; cela se dévore[20].?.
Vinet envoya à M. Lutteroth deux articles sur Rancé: nous en reparlerons. Il est temps de revenir au cours.
Agenda:
28 janvier (dimanche).--Préparé ma le?on de demain.
30 janvier.--étudié l'Allemagne de Mme de Sta?l.
31 janvier.--Commencement d'une fièvre catarrhale: je suis sorti du lit, bien souffrant, pour donner ma le?on de littérature--très mal. En revenant je me suis remis au lit.
?Sa santé, dit à ce propos Eugène Rambert[21], pouvait l'empêcher de faire son cours, mais non de le bien faire. à l'auditoire il était toujours fort.?
3 février.--Visite de M. Chappuis[22]. Il me fait part de la demande adressée à l'académie de transporter mes le?ons dans un autre local.
Il est probable que cette demande était motivée par l'affluence du public: on désirait une salle plus grande. Le cours, en effet, était très suivi. Vinet attirait et retenait ses auditeurs et par ce qu'il disait et par la manière dont il le disait. Les témoignages des contemporains sont unanimes.
?Tous estiment, dit encore Rambert, que même ses plus belles et plus authentiques le?ons ne rendent pas sur le papier ce qu'elles étaient à l'auditoire. Il n'a été entièrement connu que de ses élèves. Nulle part la supériorité de sa riche nature ne s'est plus complètement déployée que dans les le?ons du professeur. Là, pourvu de quelques notes tracées sur une carte, le ma?tre commen?ait par une exposition du sujet de la le?on. Peu à peu la voix de l'orateur, toujours pénétrante, quoique un peu voilée au début, reprenait toute sa puissance et tout son charme, et si, dans ses improvisations, comme il arrivait le plus souvent, le professeur rencontrait sur son chemin quelques-unes de ces grandes idées, expression de tout son être, alors il se livrait sans réserve aux mouvements de son ame[23]...?
Edmond de Pressensé dit de même:
?Après un commencement un peu laborieux, soudain saisi par sa propre pensée dont la flamme rayonnait dans son regard, le professeur s'animait; sa voix grave, sonore, au timbre éminemment sympathique, prenait un accent ému, et ses idées toujours si abondantes se déversaient sur son auditoire dans une forme colorée et nuancée qui se prêtait à leur richesse... Rien ne peut donner l'idée de la hauteur d'éloquence à laquelle Vinet s'élevait parfois[24].?
On m'excusera de rapporter ces textes: ils sont à leur place dans la préface d'un volume composé--en grande partie--de le?ons.
Un encore: je lis dans la Revue suisse de l'année 1844, à propos du cours:
?M. Vinet traite de la littérature fran?aise au commencement de ce siècle. C'est la première fois qu'il professe à Lausanne sur un sujet purement littéraire. La profondeur des vues, la beauté de la diction, l'esprit, la bonhomie et la grace qui s'y joignent aux traits éloquents, tout cela attire à ce cours les étudiants et le public en foule[25].?
Suite de l'Agenda:
14 février.--Le?on (3e) sur l'Allemagne. 21 ?--Achevé Madame de Sta?l. 4 mars.--Lettre de Madame de Sta?l.
(Il s'agit d'une lettre de Mme Auguste de Sta?l[26]. Vinet lui avait envoyé les feuilles autographiées de son cours. Mme Auguste de Sta?l lui écrit: ?Je vous remercie de tout mon coeur des feuilles de votre cours[27].?)
4 mars.--Le?on sur Atala. 6 id.--Première le?on sur le Génie du Christianisme. 20 id.--Seconde le?on sur les Martyrs. 26 id.--Achevé d'écrire mes deux dernières le?ons de littérature. 29 id.--J'ai donné
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