qui s'en va rendre compte à Dieu de sa vie. Je ne
compte plus et je n'ai jamais mérité d'être compté.
»Agréez, Monsieur, de nouveau, avec mes remerciements empressés,
l'assurance de ma considération très distinguée,
CHATEAUBRIAND.»
Voici maintenant la seconde (celle que Vinet appelle la troisième, mais
qui est pour nous la seconde, puisque la véritable seconde a disparu).
Cette lettre est une réponse. Vinet avait remercié Chateaubriand de ses
deux épîtres. Il avait joint à ses remerciements une profession de foi
qu'il est bon de rappeler:
«Je suis protestant, lui avait-il dit, mais dans un sens si abstrait, si peu
historique, que je ne me sens étranger dans aucune enceinte lorsque j'y
trouve cette foi en la divine charité... et cette bonne volonté, cette
candeur du repentir, qui sont la consolation, la couronne et l'humble
triomphe de notre existence foudroyée...
»... Mais veuillez, Monsieur, ne pas voir en moi le protestant seulement,
c'est-à-dire peut-être l'adversaire, mais le chrétien, c'est-à-dire le frère.
Ce mot seul peut exprimer tout ce qui se mêle d'affectueux à notre
admiration[40]...»
À quoi Chateaubriand:
Paris 24 juin 1844.
«Oui, Monsieur, nous sommes frères: Voilà le grand mot chrétien; il dit
tout; il va surtout à un homme qui, comme moi, touche à sa fin et qui
ne demande aux hommes qu'un souvenir à travers Dieu, le père
commun de tous les hommes. Vous verrez, Monsieur, ma simplicité
dans l'étonnement où je me suis trouvé lorsque j'ai vu que Rancé faisait
tant de bruit, quand j'avais cru que cet ouvrage passerait inaperçu[41].
Il contenait des erreurs qui vont disparaître dans la première
(deuxième?) édition que l'on va en donner. Mais qui est-ce qui
s'apercevra de mes corrections? qui est-ce qui se soucie de la
conscience historique? Il suffit qu'il se trouve un homme comme vous,
pour me consoler d'un travail auquel on n'attachera aucun prix.
»Agréez, Monsieur, je vous prie, mes remerciements les plus sincères
et l'assurance d'une considération qui n'aura bientôt d'autre intérêt pour
vous que l'intérêt qu'un souvenir prend dans la mort. Vous voyez,
Monsieur, où j'en suis; je puis à peine signer[42].»
Vinet ne répondit pas à cette dernière lettre; il n'avait pas à répondre: il
y aurait eu de sa part quelque indiscrétion à prolonger l'entretien.
Toutefois il donna dans le Semeur du 28 août 1844 un court article sur
la deuxième édition de la Vie de Rancé qui est bien une réponse, et
celle, sans aucun doute, que Chateaubriand désirait. Vinet dans ses
deux articles sur Rancé avait été assez dur pour Chateaubriand. Il faut
ajouter que ses sévérités étaient justifiées. Chateaubriand d'ailleurs--on
vient de le voir--avait fait des corrections à son oeuvre en vue d'une
seconde édition. Il avait tenu compte des avertissements de Vinet. Et si
l'on veut bien lire entre les lignes de la lettre que nous venons de citer,
on verra qu'il souhaitait que Vinet rendît publiquement justice à ses
efforts. Vinet comprit; au surplus Vinet de son côté ne désirait qu'une
chose, c'est qu'un auteur qu'il avait dû maltraiter lui fournît l'occasion
d'un jugement plus doux. Dès que parut la deuxième édition de Rancé il
s'empressa de la comparer à la première, et cette comparaison faite,
d'envoyer au Semeur un article que M. de Chateaubriand dut lire avec
plaisir.
Agenda:
19 août.--Collationné les deux éditions de la Vie de Rancé.
20 août.--Écrit un article sur la deuxième édition de la Vie de Rancé.
23 août.--Envoyé au Semeur l'article sur la deuxième édition de la Vie
de Rancé.
Cet article n'a pas été publié intégralement dans les précédentes
éditions de l'oeuvre de Vinet. On n'en a recueilli que les premières
lignes qu'on a mises en note au bas d'une des pages de la première
étude sur Rancé. Nous le donnons dans son entier à la fin du présent
volume.
J'en aurais fini avec les articles de Vinet sur Chateaubriand s'il ne me
restait encore un point à signaler.
Le Semeur du 18 août 1832 contient un article de philosophie religieuse
sur «le christianisme de M. de Chateaubriand dans ses Études
historiques.»
Je m'étais demandé si cet article était de Vinet bien qu'il ne figurât ni
dans les éditions antérieures, ni--ce qui est plus notable--dans une liste
que M. Lutteroth a dressée de tous les écrits de Vinet que ses
collaborateurs et lui avaient dû négliger.
J'avais quelques raisons d'attribuer cet article à Vinet: il est tout à fait
dans sa manière; on y trouve le tour habituel de son style, ses images et
surtout sa pensée.
L'auteur en effet y oppose deux conceptions différentes du relèvement
de l'homme par le christianisme, l'une qui fait consister ce relèvement
dans l'amélioration de son état moral et social, l'autre qui le met «dans
le changement du coeur.» Or il est certain que bien souvent Vinet a
reproché à Chateaubriand que son christianisme visât
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