Etudes sur la Littérature Française au XIXe siècle | Page 5

Alexandre Vinet

développements qui devaient l'amener et la préparer à «l'auditoire»; et
elle n'en est que plus frappante:
«Le bonheur de l'âme est trouvé; le bonheur extérieur a fui; ce bonheur
qui n'est pas plus dans les passions ou dans la gloire que la voix de
Dieu n'est dans la tempête.»
C'est là, je le répète, l'idée de la leçon (et même l'idée de tout le cours):
c'est vers cette idée et vers cette image que l'orateur devait s'élever par
degrés. Et, en effet, relisez le chapitre et vous verrez bien qu'il y «tend»
constamment[32].

II
Les études sur Chateaubriand qui font suite au cours sont au nombre de
quatre. Trois sont antérieures au cours; la dernière (Vie de Rancé) date
de l'année même du cours. Elles ont paru toutes les quatre dans le
Semeur.
Le Semeur avait été créé à Paris en 1831; «il se proposait d'aborder
dans un esprit chrétien les sujets d'étude les plus divers, philosophiques,
politiques, littéraires[33].» L'apparition du Semeur avait réjoui Vinet.
«Voilà, écrivait-il à M. Scholl[34] ce qui nous manquait. C'est une
simple et belle idée que celle de montrer comment le christianisme
envisage, traite et exploite les différentes sphères d'activité de la pensée
humaine. Cela nous sort des généralités; cela donne à la religion droit
de cité dans les sciences et dans les arts; on verra qu'on peut être
chrétien et homme tout ensemble[35].»
Les fondateurs du journal ne pouvaient manquer de faire appel à la
collaboration de Vinet; Vinet ne pouvait la refuser: le Semeur devint
son organe. Peut-être aurons-nous l'occasion, dans la préface d'un autre
volume, de donner quelques détails sur les débuts de Vinet au Semeur.
Quand les articles qu'on trouvera dans le présent volume y parurent,
Vinet n'en était plus à ses débuts: il appartenait depuis quelques années
déjà à la rédaction du Semeur.
L'oeuvre et la personne de Chateaubriand avaient toujours été pour lui
un sujet de réflexions infinies. Ce n'est pas trop dire que de dire qu'il
n'en dormait pas:
Agenda du 6 mai 1835:
Nuit agitée. Rêves si suivis et si laborieux que je me réveille la tête
rompue. Je conversais avec M. de Chateaubriand. Je lui dis entre
autres:
--Le génie est, sauf respect, semblable à la marmotte qui se nourrit de
sa propre substance; mais elle ne le fait qu'en hiver, et le génie en toute

saison[36]... etc...
Il est beau de converser en rêve avec M. de Chateaubriand; il vaut
mieux toutefois converser autrement.
Vinet conversa par lettres avec M. de Chateaubriand.
Ce fut M. de Chateaubriand qui entama les hostilités.
Il écrivit une première lettre à Vinet, au sujet de l'article sur la
littérature anglaise. Il se plaignait--très gentiment--que Vinet l'eût
accusé d'injustice à l'égard du protestantisme:
«Vous avez pu remarquer, lui disait-il, qu'à la fin de mon chapitre sur la
Réformation, je rends un éclatant hommage aux protestants
d'aujourd'hui.»
Il se plaignait également que Vinet lui eût reproché «de chercher
l'avenir dans des arrangements sociaux et non dans l'invisible.»
«Oserais-je aussi vous faire observer que quant à l'avenir du monde, je
n'ai entendu parler que de l'avenir de la société; je sais fort bien que
l'homme chrétien n'a d'avenir que dans une autre vie[36].»
Vinet répondit pour réparer ses omissions et pour désavouer tout ce qui
aurait retenti dans le coeur de Chateaubriand comme un reproche
injuste. Au surplus il se réjouissait de voir «l'espérance religieuse de
Chateaubriand croître et verdir sur les débris des espérances
humaines[37].»
Chateaubriand dut être touché par l'extrême modestie de son critique, et
il dut sans doute aussi goûter l'expression poétique de Vinet.
S'il ne s'agissait pas de Vinet, c'est-à-dire de l'homme le plus
sincèrement modeste qu'il y ait eu, on pourrait trouver cette modestie
excessive, et si l'on ne se rappelait que la lettre de Vinet est de 1836,
époque où l'on était naturellement éloquent, on pourrait trouver ce style
un peu «figuré[38]».

Chateaubriand écrivit de nouveau à Vinet en 1844 à propos des articles
sur la Vie de Rancé.
On lit dans l'Agenda de 1844:
27 mai.--Trouvé une lettre de M. Lutteroth, avec une incluse de M. de
Chateaubriand.
5 juin.--Lettre de M. Lutteroth avec une incluse de M. Chateaubriand
sur mon deuxième article (celui du 29 mai).
16 juin.--Répondu à M. de Chateaubriand.
26 juin.--Troisième lettre de M. de Chateaubriand en réponse à la
mienne.
Des trois lettres de Chateaubriand dont il est ici question deux
seulement nous sont parvenues.
Voici la première, qui fut écrite aussitôt après la publication du second
article sur Rancé[39]:
Paris 28 mai 1844.
«Je ne suis point étonné, Monsieur, des opinions qui séparent un
catholique d'un protestant. Je ne vous en dois pas moins des
remerciements pour la politesse avec laquelle vous avez bien voulu
parler de moi dans vos beaux articles insérés dans le Semeur. Je ne suis
rien qu'un vieillard
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