faut que je périsse, 245 J'irai pour mon pays
m'offrir en sacrifice. Qu'on s'éloigne un moment.
(_Le Choeur se retire vers le fond du théâtre_.)
SCÈNE IV.
ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR.
ESTHER.
O mon souverain Roi! Me voici donc tremblante et seule devant toi.
Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance Qu'avec nous tu juras
une sainte alliance, 250 Quand, pour te faire un peuple agréable à tes
yeux, Il plut à ton amour de choisir nos aïeux. Même tu leur promis de
ta bouche sacrée Une postérité d'éternelle durée. Hélas! ce peuple
ingrat a méprisé ta loi; 255 La nation chérie a violé sa foi; Elle a
répudiée son époux et son père, Pour rendre à d'autres dieux un
honneur adultère. Maintenant elle sert sous un maître étranger. Mais
c'est peu d'être esclave, on la veut égorger. 260 Nos superbes
vainqueurs, insultant à nos larmes, Imputent à leurs dieux le bonheur de
leurs armes, Et veulent aujourd'hui qu'un même coup mortel Abolisse
ton nom, ton peuple et ton autel. Ainsi donc un perfide, après tant de
miracles, 265 Pourrait anéantir la foi de tes oracles, Ravirait aux
mortels le plus cher de tes dons, Le saint que tu promets et que nous
attendons? Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches, Ivres de
notre sang, ferment les seules bouches 270 Qui dans tout l'univers
célèbrent tes bienfaits; Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.
Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles, Tu sais combien je hais
leurs fêtes criminelles, Et que je mets au rang des profanations 275
Leur table, leurs festins, et leurs libations; Que même cette pompe où je
suis condamnée, Ce bandeau, dont il faut que je paraisse ornée Dans
ces jours solennels à l'orgueil dédiés, Seule et dans le secret je le foule
à mes pieds; 280 Qu'à ces vains ornements je préfère la cendre, Et n'ai
de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre, J'attendais le moment
marqué dans ton arrêt, Pour oser de ton peuple embrasser l'intérêt. Ce
moment est venu: ma prompte obéissance 285 Va d'un roi redoutable
affronter la présence, C'est pour toi que je marche. Accompagne mes
pas Devant ce fier lion qui ne te connaît pas, Commande en me voyant
que son courroux s'apaise, Et prête à mes discours un charme qui lui
plaise. 290 Les orages, les vents, les cieux te sont soumis: Tourne enfin
sa fureur centre nos ennemis.
SCÈNE V.
(_Toute cette scène est chantée_.)
LE CHOEUR.
UNE ISRAÉLITE seule.
Pleurons et gémissons, mes fidèles compagnes; A nos sanglots donnons
un libre cours. Levons les yeux vers les saintes montagnes 295 D'où
l'innocence attend tout son secours. O mortelles alarmes! Tout Israël
périt. Pleurez, mes tristes yeux: Il ne fut jamais sous les cieux Un si
juste sujet de larmes. 300
TOUT LE CHOEUR.
O mortelles alarmes!
UNE AUTRE ISRAÉLITE.
N'était-ce pas assez qu'un vainqueur odieux De l'auguste Sion eût
détruit tous les charmes, Et traîné ses enfants captifs en mille lieux?
TOUT LE CHOEUR.
O mortelles alarmes! 305
LA MÊME ISRAÉLITE.
Faibles agneaux livrés à des loups furieux, Nos soupirs sont nos seules
armes. TOUT LE CHOEUR.
O mortelles alarmes!
UNE DES ISRAÉLITES.
Arrachons, déchirons tous ces vains ornements Qui parent notre tête.
310
UNE AUTRE.
Revêtons-nous d'habillements Conformes à l'horrible fête Que l'impie
Aman nous apprête.
TOUT LE CHOEUR.
Arrachons, déchirons tous ces vains ornements Qui parent notre tête.
315
UNE ISRAÉLITE seule.
Quel carnage de toutes parts! On égorge à la fois les enfants, les
vieillards, Et la soeur et le frère, Et la fille et la mère, Le fils dans les
bras de son père. 320 Que de corps entassés! que de membres épars
Privés de sépulture! Grand Dieu! tes saints sont la pâture Des tigres et
des léopards.
UNE DES PLUS JEUNES ISRAÉLITES.
Hélas! si jeune encore, 325 Par quel crime ai-je pu mériter mon
malheur? Ma vie à peine a commencé d'éclore. Je tomberai comme une
fleur Qui n'a vu qu'une aurore. Hélas! si jeune encore, 330 Par quel
crime ai-je pu mériter mon malheur?
UNE AUTRE.
Des offenses d'autrui malheureuses victimes, Que nous servent, hélas!
ces regrets superflus? Nos pères ont péché, nos pères ne sont plus, Et
nous portons la peine de leurs crimes. 335
TOUT LE CHOEUR.
Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats. Non, non, il ne
souffrira pas Qu'on égorge ainsi l'innocence.
UNE ISRAÉLITE seule.
Hé quoi? dirait l'impiété, Où donc est-il ce Dieu si redouté 340 Dont
Israël nous vantait la puissance?
UNE AUTRE.
Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux, Frémissez, peuples de la terre, Ce
Dieu jaloux, ce Dieu victorieux Est le seui qui commande aux cieux.
345 Ni les éclairs ni le tonnerre N'obéissent point à vos dieux.
UNE AUTRE.
Il renverse l'audacieux.
UNE
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