sur mes
faibles mains fondant leur délivrance, Il me fit d'un empire accepter
l'espérance. A ses desseins secrets tremblante j'obéis. Je vins. Mais je
cachai ma race et mon pays. Qui pourrait cependant t'exprimer les
cabales 55 Que formait en ces lieux ce peuple de rivales, Qui toutes
disputant un si grand intérêt, Des yeux d'Assuérus attendaient leur arrêt?
Chacune avait sa brigue et de puissants suffrages: L'une d'un sang
fameux vantait les avantages; 60 L'autre, pour se parer de superbes
atours, Des plus adroites mains empruntait le secours; Et moi, pour
toute brigue et pour tout artifice, De mes larmes au ciel j'offrais le
sacrifice.
Enfin on m'annonça l'ordre d'Assuérus. 65 Devant ce fier monarque,
Élise, je parus. Dieu tient le coeur des rois entre ses mains puissantes. Il
fait que tout prospère aux âmes innocentes, Tandis qu'en ses projets
l'orgueilleux est trompé. De mes faibles attraits le Roi parut frappé. 70
Il m'observa longtemps dans un sombre silence; Et le Ciel, qui pour
moi fit pencher la balance, Dans ce temps-là sans doute agissait sur son
coeur. Enfin, avec des yeux où régnait la douceur: «Soyez reine,» dit-il;
et dès ce moment même 75 De sa main sur mon front posa son diadème.
Pour mieux faire éclater sa joie et son amour, Il combla de présents
tous les grands de sa cour; Et même ses bienfaits, dans toutes ses
provinces. Invitèrent le peuple aux noces de leurs princes. 80
Helas! durant ces jours de joie et de festins, Quelle était en secret ma
honte et mes chagrins! «Esther, disais-je, Esther dans la pourpre est
assise, La moitié de la terre à son sceptre est soumise, Et de Jérusalem
l'herbe cache les murs! 85 Sion, repaire affreux de reptiles impurs, Voit
de son temple saint les pierres dispersées, Et du Dieu d'Israël les fêtes
sont cessées!»
ÉLISE.
N'avez-vous point au Roi confié vos ennuis?
ESTHER.
Le Roi, jusqu'à ce jour, ignore qui je suis. 90 Celui par qui le ciel règle
ma destinée Sur ce secret encor tient ma langue enchaînée.
ÉLISE.
Mardochée? Hé! peut-il approcher de ces lieux?
ESTHER.
Son amitié pour moi le rend ingénieux. Absent, je le consulte; et ses
réponses sages 95 Pour venir jusqu'a moi trouvent mille passages. Un
père a moins de soin du salut de son fils. Déjà même, déjà, par ses
secrets avis, J'ai découvert au Roi les sanglantes pratiques Que
formaient contre lui deux ingrats domestiques. 100 Cependant mon
amour pour notre nation A rempli ce palais de filles de Sion, Jeunes et
tendres fleurs, par le sort agitées, Sous un ciel étranger comme moi
transplantées. Dans un lieu séparé de profanes témoins, 105 Je mets à
les former mon étude et mes soins; Et c'est là que, fuyant l'orgueil du
diadème, Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même, Aux
pieds de l'Éternel je viens m'humilier, Et goûter le plaisir de me faire
oublier. 110 Mais a tous les Persans je cache leurs familles. Il faut les
appeler. Venez, venez, mes filles, Compagnes autrefois de ma captivité,
De l'antique Jacob jeune postérité.
SCÈNE II.
ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR.
UNE DES ISRAÉLITES _chante derrière le théâtre_.
Ma soeur, quelle voix nous appelle? 115
UNE AUTRE.
J'en reconnais les agréables sons. C'est la Reine.
TOUTES DEUX.
Courons, mes soeurs, obéissons, La Reine nous appelle: Allons,
rangeons-nous auprès d'elle.
TOUT LE CHOEUR _entrant sur la scène par plusieurs endroits
differents_.
La Reine nous appelle: 120 Allons, rangeons-nous auprès d'elle.
ÉLISE.
Ciel! quel nombreux essaim d'innocentes beautés S'offre à mes yeux en
foule et sort de tous côtés! Quelle aimable pudeur sur leur visage est
peinte! Prospérez, cher espoir d'une nation sainte. 125 Puissent jusques
au ciel vos soupirs innocents Monter comme l'odeur d'un agréable
encens! Que Dieu jette sur vous des regards pacifiques.
ESTHER.
Mes filles, chantez-nous quelqu'un de ces cantiques Où vos voix si
souvent se mêlant à mes pleurs 130 De la triste Sion célèbrent les
malheurs.
UNE ISRAÉLITE seule chante.
Déplorable Sion, qu'as-tu fait de ta gloire? Tout l'univers admirait ta
splendeur: Tu n'es plus que poussière; et de cette grandeur Il ne nous
reste plus que la triste mémoire. 135 Sion, jusques au ciel élévee
autrefois, Jusqu'aux enfers maintenant abaissée, Puissé-je demeurer
sans voix, Si dans mes chants ta douleur retracée Jusqu'au dernier
soupir n'occupe ma pensée! 140
TOUT LE CHOEUR.
O rives du Jourdain! ô champs aimés des Cieux! Sacrés monts, fertiles
vallées, Par cent miracles signalées! Du doux pays de nos aïeux
Serons-nous toujours exilées? 145
UNE ISRAÉLITE seule.
Quand verrai-je, ô Sion! relever tes remparts, Et de tes tours les
magnifiques faîtes? Quand verrai-je de toutes parts Tes peuples en
chantant accourir à tes fêtes?
TOUT LE CHOEUR.
O rives du Jourdain! ô champs aimés des Cieux! 145 Sacrés monts,
fertiles vallées, Par cent miracles
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