pour l'affreuse hérésie; La
discorde en fureur frémit de toutes parts; Tout semble abandonner tes
sacrés etendards, Et l'enfer, couvrant tout de ses vapeurs funèbres, 35
Sur les yeux les plus saints a jeté ses ténèbres. Lui seul, invariable et
fondé sur la foi, Ne cherche, ne regarde et n'écoute que toi; Et bravant
du demon l'impuissant artifice, De la religion soutient tout l'édifice. 40
Grand Dieu, juge ta cause, et déploie aujourd'hui Ce bras, ce même
bras qui combattait pour lui, Lorsque des nations à sa perte animées Le
Rhin vit tant de fois disperser les armées. Des mêmes ennemis je
reconnais l'orgueil; 45 Ils viennent se briser contre le même écueil.
Déjà, rompant partout leurs plus fermes barrières, Du debris de leurs
forts il couvre ses frontières.
Tu lui donnes un fils prompt à le seconder, Qui sait combattre, plaire,
obéir, commander; 50 Un fils qui, comme lui, suivi de la victoire,
Semble à gagner son coeur borner toute sa gloire, Un fils à tous ses
vceux avec amour soumis, L'éternel désespoir de tous ses ennemis.
Pareil à ces esprits que ta Justice envoie, 55 Quand son roi lui dit:
«Pars», il s'élance avec joie, Du tonnerre vengeur s'en va tout embraser,
Et tranquille à ses pieds revient le déposer.
Mais tandis qu'un grand roi venge ainsi mes injures, Vous qui goûtez
ici des délices si pures, 60 S'il permet à son coeur un moment de repos,
A vos jeux innocents appelez ce héros. Retracez lui d'Esther l'histoire
glorieuse, Et sur l'impiété la foi victorieuse.
Et vous, qui vous plaisez aux folles passions 65 Qu'allument dans vos
coeurs les vaines fictions, Profanes amateurs de spectacles frivoles,
Dont l'oreille s'ennuie au son de mes paroles, Fuyez de mes plaisirs la
sainte austérité. Tout respire ici Dieu, la paix, la vérité. 70
NOMS DES PERSONNAGES.
ASSUÉRUS, roi de Perse. ESTHER, reine de Perse. MARDOCHÉE,
oncle d'Esther. AMAN, favori d'Assuérus. ZARÈS, femme d'Aman.
HYDASPE, officier du palais intérieur d'Assuérus. ASAPH, autre
officier d'Assuérus. ÉLISE, confidente d'Esther. THAMAR, Israélite de
la suite d'Esther. GARDES DU ROI ASSUÉRUS. CHOEUR DE
JEUNES FILLES ISRAÉLITES.
LA PIÉTÉ fait le Prologue.
La scène est à Suse, dans le palais d'Assuérus.
ESTHER.
ACTE PREMIER.
(_Le théatre représente l'appartement d'Esther_.)
SCÈNE I.
ESTHER, ÉLISE.
ESTHER.
Est-ce toi, chere Élise? O jour trois fois heureux! Que béni soit le del
qui te rend à ines voeux, Toi qui de Benjamin comme moi descendue,
Fus de mes premiers ans la compagne assidue, Et qui, d'un même joug
souffrant l'oppression, 5 M'aidais à soupirer les malheurs de Sion.
Combien ce temps encore est cher à ma mémoire! Mais toi, de ton
Esther ignorais-tu la gloire? Depuis plus de six mois que je te fais
chercher, Quel climat, quel désert a donc pu te cacher? 10
ELISE.
Au bruit de votre mort justement éplorée, Du reste des humains je
vivais séparée, Et de mes tristes jours n'attendais que la fin, Quand tout
à coup, Madame, un prophète divin: «C'est pleurer trop longtemps une
mort qui t'abuse, 15 Lève-toi, m'a-t-il dit, prends ton chemin vers Suse.
Là tu verras d'Esther la pompe et les honneurs, Et sur le trône assis le
sujet de tes pleurs. Rassure, ajouta-t-il, tes tribus alarmées, Sion: le jour
approche où le Dieu des armées 20 Va de son bras puissant faire éclater
l'appui; Et le cri de son peuple est monté jusqu'à lui.» Il dit; et moi, de
joie et d'horreur pénétrée, Je cours. De ce palais j'ai su trouver l'entrée.
O spectacle! O triomphe admirable à mes yeux, 25 Digne en effet du
bras qui sauva nos aïeux! Le fier Assuérus couronne sa captive, Et le
Persan superbe est aux pieds d'une Juive. Par quels secrets ressorts, par
quel enchaînement, Le Ciel a-t-il conduit ce grand événement? 30
ESTHER.
Peut-être on t'a conté la fameuse disgrâce De l'altière Vasthi, dont
j'occupe la place, Lorsque le Roi, contre elle enflammé de dépit, La
chassa de son trône, ainsi que de son lit. Mais il ne put sitôt en bannir la
pensée. 35 Vasthi régna longtemps dans son âme offensée. Dans ses
nombreux États il fallut donc chercher Quelque nouvel objet qui l'en
pût détacher. De l'Inde a l'Hellespont ses esclaves coururent; Les filles
de l'Égypte à Suse comparurent; 40 Celles même du Parthe et du
Scythe indompté Y briguèrent le sceptre offert à la beauté. On m'elevait
alors, solitaire et cachée, Sous les yeux vigilants du sage Mardochée.
Tu sais combien je dois à ses heureux secours. 45 La mort m'avait ravi
les auteurs de mes jours; Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
Me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère. Du triste état des Juifs
jour et nuit agité, Il me tira du sein de mon obscurité; 50 Et
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