Escal-Vigor | Page 8

Georges Eekhoud
la vareuse d��gageant leur col robuste jusqu'�� la naissance des pectoraux.
C'��taient presque tous de grands et fermes gar?ons, des bruns bien d��coupl��s, recrut��s dans toutes les castes de l'?le, dans les fermes de Zoudbertinge aussi bien que dans les taudis de Klaarvatsch. La Ghilde, d'essence tr��s d��mocratique, fondait les fils de notables avec la prog��niture male des pillards d'��paves et des coureurs de gr��ves.
Les plus jeunes de ces petits-fils de naufrageurs, des gamins aux cheveux ��bouriff��s, aux yeux brillants mais farouches, �� la figure brunie comme celle des anges du Guide, d��j�� membrus, le pantalon tenu par des cordes d'��toupe en guise de bretelles, et finissant aux genoux par des d��chiquetures orn��es d'��pines et de feuilles mortes, remplissaient, moyennant quelques deniers de pourboire, l'office de porteurs de torches. Et sous pr��texte de raviver l'��clat du luminaire, mais �� la v��rit�� pour s'amuser, �� tout bout de champ ils retournaient leurs falots et aspergeaient le sol des langues enflamm��es de la r��sine qu'ils tr��pignaient ensuite pour les ��teindre, sans crainte de br?ler leurs pieds nus dont la plante ��tait devenue dure comme la corne.
En l'honneur du Dykgrave, la Ghilde Sainte-C��cile joua de tr��s vieux airs du pays, qui contractaient une indicible patine harmonique dans la ti��deur parfum��e de ce soir. Un, surtout, navra et surprit d��licieusement Henry par sa m��lodie plaintive comme le jusant, la rafale sur la bruy��re et les ahanements onomatopiques des diguiers enfon?ant des pilotis. Ces manoeuvres, ou plut?t leurs chefs d'��quipe, le chantent en effet pour donner du coeur �� leurs hommes pendant le travail. Attel��s chacun �� une corde, simultan��ment ils guindent en l'air le lourd mouton et le laissent retomber. Les jambes se tendent, les torses se prosternent, et les croupes se redressent en cadence. On entend aussi cet air �� bord des sloops de p��che. Des marins prennent leur instrument avec eux et, par leurs rhapsodies et leurs bucoliques, ils trompent les heures parfois mornes et les calmes plats du large, accordant leur plainte et leur langueur au rythme haletant des vagues.
Un des gars, ��l��ve de l'��cole de musique d'Upperzyde, avait transcrit ce chant pour fanfare. Le petit bugle stridait cette m��lop��e modulante et un peu rauque, sur un accompagnement de tubas et de trombones ��voquant la basse profonde des flots.
Kehlmark consid��ra le joueur de bugle, un adolescent mieux d��coupl�� et plus ��lanc�� que les compagnons de son age, aux reins cambr��s, au teint d'ambre, aux yeux de velours sous de longs cils noirs, �� la bouche charnue et tr��s rouge, aux narines dilat��es par de myst��rieuses sensualit��s olfactives, aux cheveux noirs plant��s drus, avantageusement moul�� dans son m��chant costume qui adh��rait �� ses formes comme leur pelage aux membres ��lastiques des f��lins. Le corps doucement balanc�� et tortill�� semblait suivre les ondulations de la musique et ex��cutait sur place une danse tr��s lente, comparable au fr��missement des trembles, par ces nuits d'��t�� o�� la brise se r��duit �� la respiration des plantes. La sculpturale cambrure de ce jeune rustre qui joignait le relief musculaire de ses pareils �� l'on ne sait quel souci de la ligne, rappelait pr��cis��ment �� Kehlmark le Joueur de chalumeau de Frans Hals. Cet ��ph��be lui repr��sentait un merveilleux tableau vivant d'apr��s la toile du mus��e d'Upperzyde. Son coeur se serra, il retint sa respiration, en proie �� une ferveur trop grande.
Michel Govaertz s'��tant aper?u de l'attention accord��e par le Dykgrave au jeune soliste, profita de la pause qui suivit pour aborder celui-ci et l'amener assez brutalement par l'oreille, au risque de la lui meurtrir, aupr��s de Kehlmark.
Rien ne rendrait l'expression �� la fois piteuse, effarouch��e et extatique du petit sonneur de bugle brusquement confront�� avec le Dykgrave. Il semblait que dans ses yeux et sur sa bouche se concentrassent toute la sublime d��tresse d'un martyr.
-- Monsieur le comte, voil�� mon fils Guidon, le vaurien dont je vous parlais tout �� l'heure, ricana le bourru en faisant pivoter le gamin sur lui-m��me; voil�� le compagnon des sacripants de Klaarvatsch, un fieff�� paresseux, une mauvaise t��te qui r��unit peut-��tre toutes les qualit��s de gosier des pinsons et des alouettes, mais qui ne poss��de aucun des m��rites que j'esp��rais rencontrer chez un gar?on de mon sang. Ah! r��vasser, siffloter, roucouler dans le vide, b��er aux mouettes, s'��tendre sur le dos ou se vautrer au soleil, comme les phoques sur un banc de sable, voil�� qui lui convient!... Figurez-vous que depuis sa naissance il ne nous a encore ��t�� d'aucune utilit��. Comme il ne nous aidait en rien �� la ferme, j'avais song�� �� en faire un matelot et je l'embauchai comme mousse sur une barque de p��che... Bernique! Apr��s trois jours, un bateau qui rentrait au port nous l'a ramen��... Au milieu de la manoeuvre, il s'arr��tait court pour regarder les nuages et les vagues... Sa n��gligence et son ��tourderie lui
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