Escal-Vigor | Page 4

Georges Eekhoud
langues se d��liaient, des rires, parfois un juron, scandaient leur idiome guttural, haut en couleur avec, pourtant, des caresses et des velout��s inattendus.
Logique dans sa d��rogation �� l'��tiquette, violant toute pr��s��ance, l'amphitryon avait eu le bon esprit d'asseoir chaque fois �� c?t�� d'un de ses pairs de l'oligarchie une fermi��re, une patronne de chaloupe ou une poissonni��re, et, r��ciproquement, �� c?t�� d'une voisine de chateau, se calait un jeune nourrisseur de crane encolure ou un chaloupier aux biceps noueux.
Les amis de Kehlmark constat��rent que presque tous les convives ��taient dans la fleur ou dans la chaude maturit�� de l'age. On aurait dit une s��lection de femmes avenantes et de gars plastiques et galbeux.
Parmi les invit��s se trouvait un des principaux cultivateurs du pays, Michel Govaertz de la ferme des P��lerins, veuf, p��re de deux enfants, Guidon et Claudie.
Apr��s le seigneur de l'Escal-Vigor, le fermier des P��lerins ��tait l'homme le plus important de Zoudbertinge, le village sur le territoire duquel ��tait situ�� le chateau des Kehlmark.
Durant la minorit�� et l'absence du jeune comte, Govaertz l'avait m��me remplac�� �� la t��te de la wateringue ou conseil d'entretien et de pr��servation des terres d'alluvion, dites polders, conseil dont le Dykgrave ��tait le chef. Et ce n'��tait pas sans une certaine mortification d'amour-propre que, par le retour de Kehlmark, le fermier des P��lerins s'��tait vu rel��gu�� au rang d'un simple membre des comices en question. Mais l'affabilit�� du jeune comte avait bient?t fait oublier �� Govaertz cette petite diminution d'autorit��. Puis, auparavant, il ne si��geait dans la wateringue que comme repr��sentant du Dykgrave, tandis que comme jur�� il avait droit d'initiative et voix d��lib��rative dans le chapitre. De plus, n'avait-il point ��t�� r��cemment ��lu bourgmestre de la paroisse? Gros paysan, quadrag��naire de belle prestance, pas m��chant, mais vaniteux, de caract��re nul, il avait ��t�� extr��mement flatt�� d'��tre invit�� au chateau et d'occuper, avec sa fille, la t��te de la table. Soutenu par ses comp��res, surtout styl�� et instigu�� par sa fille, la non moins ambitieuse mais plus intelligente Claudie, il incarnait les pr��rogatives et les immunit��s civiles et tenait frondeusement t��te au pasteur Bomberg. Un instant, il craignit que le comte de Kehlmarck ne profitat de son influence pour se faire nommer magistrat du village. Mais Henry abhorrait la politique, les comp��titions qu'elle engendre, les bassesses, les intrigues, les compromissions qu'elle impose aux hommes publics. De ce c?t��, Govaertz n'avait donc rien �� craindre. Aussi r��solut-il de se faire un ami et un alli�� du grand seigneur, pour r��duire le domin�� �� l'impuissance. Cette attitude lui avait ��t�� recommand��e par Claudie d��s qu'on apprit l'arriv��e du chatelain d'Escal-Vigor.
Pour honorer le bourgmestre, le comte avait assis Claudie Govaertz �� sa droite.
Claudie, la forte t��te de la maison, ��tait une grande et plantureuse fille, au temp��rament d'amazone, aux seins volumineux, aux bras muscl��s, �� la taille robuste et flexible, aux hanches de taure, �� la voix imp��rative, type de virago et de walkyrie. Un opulent chignon de cheveux d'or brun casquait sa t��te volontaire et r��pandait ses m��ches sur un front court, presque jusqu'�� ses yeux hardis et effront��s, bruns et fluides comme une coul��e de bronze, dont un nez droit et ��vas��, une bouche gourmande, des dents de chatte, soulignaient la provocation et la rudesse. Toute en chair et en instincts, un besoin de tyrannie, une ambition f��roce parvenait seule �� r��fr��ner ses app��tits et �� la conserver chaste et inviol��e jusqu'�� pr��sent, malgr�� les ardeurs de sa nature. Pas l'ombre de sensibilit�� ou de d��licatesse. Une volont�� de fer et aucun scrupule pour arriver �� ses fins. Depuis la mort de sa m��re, c'est-��-dire depuis ses dix-sept ans -- aujourd'hui elle en comptait vingt-deux -- elle gouvernait la ferme, le m��nage et, jusqu'�� un certain point, la paroisse. C'est avec elle que devrait compter le pasteur. Son fr��re Guidon, un adolescent de dix-huit ans, et m��me son p��re le bourgmestre, tremblaient lorsqu'elle ��levait la voix. Un des plus beaux partis de l'?le, elle avait ��t�� tr��s recherch��e, mais elle avait ��conduit les pr��tendants les plus argenteux, car elle r��vait un mariage qui l'��l��verait encore au-dessus des autres femmes du pays. Telle ��tait m��me la raison de sa vertu. Magnifique et vibrant morceau de chair, aussi affriol��e qu'affriolante, elle d��courageait les poursuites des males s��rieusement intentionn��s, quoiqu'elle e?t voulu s'abandonner, se pamer dans leurs bras et leur rendre ��treinte pour ��treinte, qui sait, peut-��tre m��me les provoquer et, au besoin, les prendre de force.
Afin de mater et d'��tourdir ses postulations, Claudie se d��pensait, la semaine, en corv��es, en besognes ��reintantes, et, aux kermesses, elle se livrait �� des danses furieuses, provoquait des algarades, fomentait des hourvaris et des rixes entre ses galants, mais leurrant le vainqueur, le ma?trisant au besoin, affectant encore plus de brutalit�� que lui, allant jusqu'�� le battre et le traiter comme
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 58
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.