à l'abbé Kersaint, et franchit résolument le seuil de la porte.
Cependant, on entendait toujours derrière les arbres du verger les éclats joyeux de la voix de Marguerite.
III
En sortant de Saint-Jean-du-Doigt, deux chemins conduisent au chateau de Kerhor, habitation d'été de la mère d'Octave: l'un a été établi à grands frais pour les voitures; l'autre s'est trouvé tout naturellement tracé par les piétons.
En quittant le presbytère, Tanneguy se mit à gravir le petit sentier rocailleux qui suit les sinuosités capricieuses de la c?te jusqu'au chateau.
Il était profondément agité.
Son baton s'appuyait, avec un bruit sec, sur les pointes vives du roc, et sa main en serrait rudement de temps à autre la poignée. à mesure que l'on s'éloigne de Saint-Jean-du-Doigt, l'aspect du sol devient monotone, apre et nu; la végétation luxuriante de l'intérieur des terres dispara?t; on n'aper?oit plus ?à et là, que quelques pousses souffreteuses qui essayent de végéter sur les flancs inféconds du roc, ou encore quelques prairies arides, où l'herbe a été flétrie et br?lée par les vents d'orage.
Bien que les rayons d'un soleil éclatant éclairassent ce tableau, tout cela était d'une tristesse morne et désespérée, et Tanneguy en re?ut une impression facheuse qui ajouta encore à ses cruelles préoccupations.
Tout à coup, il s'arrêta.
à quelques pas devant lui, et sur la pointe extrême d'un rocher qui dominait à pic toute la grève, venait de se dresser une misérable cabane recouverte de chaume.
Sur le seuil de cette cabane, un homme assis nonchalamment, accommodait philosophiquement les guenilles dont il était vêtu.
Cet homme, Tanneguy le reconnut de suite.
C'était celui que, dans le pays, on appelait éric le mendiant.
Au cri sauvage que le vieux Breton poussa à cette vue, le mendiant releva la tête et palit.
Par une sorte de divination magnétique, il avait pressenti quelque catastrophe, et con?ut un moment la pensée de se soustraire à cette visite indiscrète... Mais il était déjà trop tard.
Quand il voulut fuir, il se trouva en face du vieux Breton qui avan?ait.
Il fallait faire contre mauvaise fortune bon coeur, et éric, qui ne manquait pas d'adresse, alla résolument au-devant du danger.
-- Bonjour, monsieur Tanneguy, dit-il en se découvrant avec humilité devant le vieux descendant du connétable; le pauvre éric ne vous a point oublié ce matin dans ses prières, ni vous ni votre charmante fille, et s'il pla?t à Dieu de les exaucer, les bénédictions du ciel descendront sur votre demeure.
-- Je vous remercie, éric, répondit Tanneguy en se contenant de son mieux, les prières des pauvres sont agréables à Dieu, et je ne doute pas qu'il n'exauce les v?tres, si elles sont sincères.
-- En pouvez-vous douter? fit éric avec componction.
-- J'en ai douté quelquefois, repartit Tanneguy, dont les sourcils se froncèrent malgré lui.
-- Cependant...
-- Cependant, j'ai à vous parler, ma?tre éric.
-- à moi?
-- à vous-même.
-- J'allais sortir.
-- Vous sortirez plus tard.
-- Le matin, c'est le meilleur moment de la journée.
-- Eh bien! je vous en tiendrai compte, objecta brusquement Tanneguy en lui jetant une pièce de monnaie que le mendiant se hata de ramasser; mais j'ai à vous parler, et il faut que je vous parle!
Le mendiant fit dispara?tre dans sa poche la pièce de monnaie qu'on venait de lui jeter, et montra sa cabane à Tanneguy, comme pour l'inviter à y entrer.
La cabane dont il s'agit avait été construite par le mendiant lui- même, avec quelques poutres que la mer avait jetées sur la c?te un jour d'orage, et de la terre qu'il avait ramassée sur la route; les pluies et les vents des nuits d'hiver l'avaient considérablement détériorée, et le toit, qui se composait de mauvaise paille et de branches d'arbres desséchées, commen?ait déjà à s'effondrer. Mais cette habitation, quelque chétive qu'elle f?t, suffisait à éric, qui, d'ailleurs, n'y demeurait pas d'une manière régulière et continue; dans les mauvais jours, il s'estimait encore heureux de trouver là un abri, qu'il n'était pas toujours certain de rencontrer ailleurs.
Une ou deux bottes de paille jetées dans un coin lui servaient de lit, et la cabane n'avait pas d'autre ornement, si ce n'est un mauvais escabeau boiteux, que le mendiant devait à la charité des domestiques du chateau de Kerhor.
Quand Tanneguy fut entré, éric s'allongea sur sa botte de paille, son peu-bas à gauche et sa besace à droite. Il avait fait ses réflexions: il avait deviné tout de suite ce dont il s'agissait, et il était décidé à affronter jusqu'au bout la colère du vieux Breton; il n'ignorait pas que Tanneguy était violent, emporté, et qu'il ne s'arrêterait peut-être pas devant les conséquences extrêmes de son emportement; mais le mendiant se sentait fort, et, au surplus, il n'était pas faché, que le hasard lui offrit l'occasion d'avoir une explication décisive avec le père de Marguerite.
Il n'éprouva donc aucune émotion en voyant entrer ce dernier, et un sourire presque ironique vint même effleurer ses lèvres, lorsqu'il s'aper?ut
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