Eric le Mendiant | Page 8

Pierre Zaccone
que Tanneguy parcourait silencieusement la cabane, sans savoir probablement de quelle fa?on entamer l'entretien.
éric eut pitié de lui; il alla au-devant de ses désirs et commen?a:
-- Vous avez désiré me parler, monsieur Tanneguy, dit-il, me voilà tout prêt à vous écouter, et à vous rendre tous les services qu'un pauvre mendiant comme moi peut rendre. Je connais bien du monde au pays et ailleurs, sans me vanter, et si c'est pour avoir des renseignements sur quelque bonne terre à acheter, je suis votre homme.
-- Ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
-- Et de quoi donc? demanda le mendiant avec une na?veté feinte.
-- Il s'agit de vous, et de vous seul, poursuivit Tanneguy, dont les joues se colorèrent vivement, et qui frappa le sol de son énorme peu-bas.
éric le regardait stupidement, et comme s'il e?t vainement cherché à comprendre le sens de ses paroles.
-- De moi? répondit-il avec un étonnement admirablement joué; moi, monsieur Tanneguy, je suis un pauvre mendiant, qui doit son existence à la charité des habitants de la c?te. Je serais trop heureux de pouvoir vous être utile à quelque chose..., et je le répète, pour cela je suis votre homme.
-- Soit! fit Tanneguy en réprimant un mouvement d'impatience, vous vous obstinez à ne pas comprendre le sens très-clair de mes paroles, eh bien! je parlerai avec encore plus de clarté... écoutez moi donc, ma?tre mendiant, et retenez bien surtout ce que je vais vous dire, car je vous l'assure, il pourrait vous en co?ter cher de l'oublier.
En parlant ainsi, le vieux Breton serrait son peu-bas dans sa main crispée; ses sourcils se fron?aient, et ses regards lan?aient d'ardentes étincelles.
éric cependant suivait chacun de ses mouvements avec une impassibilité vraiment remarquable.
Tanneguy reprit:
-- Il m'est revenu, dit-il d'une voix ferme et brève, que vous ne vous contentiez pas, dans vos courses de vagabond, d'implorer la charité publique, et que vous ajoutiez encore à ce métier celui d'espion et de calomniateur.
-- Moi? fit éric, qui se sentit palir malgré lui.
-- Vous! poursuivit Tanneguy, vous, éric, le mendiant!... Et ce qu'il y a peut-être de plus lache et de plus infame dans ce r?le que vous jouez, c'est que vous vous gardez bien de vous en prendre à ceux qui pourraient vous faire taire en vous chatiant, ou se venger en vous tuant, et que vous vous attaquez de préférence à des enfants qui n'ont d'autre défense que leurs larmes, ou d'autre refuge que leur silence!
La physionomie de Tanneguy avait revêtu, pendant qu'il parlait, un caractère particulier d'ardente colère qui parut inquiétant à éric.
Toutefois, il surmonta cette inquiétude passagère, et essaya un sourire modeste.
-- On vous a trompé sur mon compte, monsieur Tanneguy, répondit- il; je vas et viens à travers le pays, vivant des aum?nes de tous, et l'idée ne m'est jamais venue de dire du mal de ceux qui me donnent!... Sans doute j'apprends et je vois beaucoup de choses en voyageant ainsi, et quand je rentre le soir dans ma pauvre cabane, j'ai souvent la mémoire bien plus remplie que ma besace; mais je prends le bon Dieu à témoin que jamais il ne m'est arrivé de raconter ce que j'apprenais ou ce que je voyais...
-- Cependant on me l'a dit... objecta Tanneguy.
-- On vous aura trompé, repartit le mendiant qui reprenait peu à peu toute son assurance, et voyez-vous, ajouta-t-il avec une sorte de complaisance nonchalante, il y en a qui m'aiment au pays et il y en a qui ne m'aiment pas... Les uns disent du bien de moi, les autres disent du mal... c'est une chose qu'on ne peut pas empêcher, monsieur Tanneguy, et quand on a la conscience honnête, et qu'on croit n'avoir rien à se reprocher, on va toujours son chemin, sans s'inquiéter des mauvaises gens, et des mauvais propos...
Tanneguy s'arrêta à deux pas d'éric.
Les paroles du mendiant ne l'avaient pas calmé, ses sourcils s'étaient rapprochés, ses dents mordaient ses lèvres avec une fureur mal contenue.
-- C'est bien, dit-il d'un accent impérieux et comme s'il e?t voulu imposer silence au mendiant, c'est bien, tu n'es pas coupable... tu n'as rien dit, on m'a trompé... puisque tu l'assures, je te crois; je ne veux plus parler de ce qui est arrivé, je veux seulement te donner un avertissement pour l'avenir!... Il est possible que quelqu'un te paye pour venir espionner ce qui se passe chez moi, mais c'est une chose que je ne puis souffrir davantage, et que j'ai la ferme intention d'empêcher.
-- Et comment donc cela? interrompit éric avec un sourire presque moqueur.
-- En te défendant d'approcher de la ferme, répondit Tanneguy.
éric haussa les épaules:
-- Est-ce que ?a se peut, ?a? dit-il en jouant avec son baton; je vais à Lanmeur tous les jours, et il n'y a que le bon Dieu qui puisse m'empêcher d'y aller.
-- C'est ce que nous verrons, fit
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