conseils.
Le vieil abbé sembla alors se recueillir, puis il reprit:
-- Je ne sais, mon ami, dit-il, si vous connaissez au pays un homme que l'on a pris l'habitude de désigner sous la dénomination d'éric le mendiant...
-- Je le connais, répondit Tanneguy en fron?ant le sourcil.
-- Cet homme, poursuivit l'abbé, parcourt journellement les communes de la c?te, et il va partout, semant les nouvelles bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses, qu'il a recueillies sur son chemin.
-- Je lui ai souvent fait l'aum?ne, et Marga?t aussi!... objecta Tanneguy...
-- Cela ne m'étonne pas!... il prélève dans la contrée une d?me considérable, dont j'ai ou? dire qu'il faisait mauvais usage. C'est, je crois, une nature perverse, mais cet homme n'est pas seulement méchant, il est encore très dangereux.
-- Je le sais!... fit Tanneguy.
-- Vous avez eu à vous en plaindre...
-- Une seule fois.
-- Et depuis, vous ne lui faites plus l'aum?ne?...
-- Moi, je l'ai chassé de la ferme... mais Marga?t lui donne, encore de temps à autre, à ce que j'ai appris.
-- Alors, je commence à m'expliquer l'espèce de haine qu'il vous a vouée.
-- Ah! il me hait.
-- Il dit du moins beaucoup de mal de vous...
-- Mais on n'y ajoute pas foi...
-- Tanneguy, c'est une des erreurs les plus funestes des natures loyales et droites, de ne jamais croire à la puissance des méchants!... il est bien souvent difficile, même aux hommes les plus vertueux, de se préserver de leurs terribles atteintes.
-- Et qu'importe ce que cet éric peut dire de moi! s'écria Tanneguy en redressant le front avec une fierté pleine de noblesse; il y a vingt ans que j'habite le pays, monsieur l'abbé, et j'y ai assez d'amis dévoués, pour leur laisser le soin de me défendre contre les calomnies de tous les mendiants...
-- Mais s'il ne s'agissait pas précisément de vous?
-- Comment?...
-- S'il s'agissait de Marga?t, par exemple?
-- Marga?t!...
-- Vous ne resteriez pas, je le suppose, tout à fait aussi indifférent aux calomnies qui pourraient l'atteindre.
-- Il a dit du mal de Marga?t!...
Le père Tanneguy s'était levé à moitié, son visage avait tout à coup pali, et sa main puissante et robuste s'appuyait carrément sur la table de chêne.
Mais l'abbé Kersaint était trop l'ami de Tanneguy, pour ne pas aller jusqu'au bout, et il poursuivit, malgré la colère qui grondait sourdement dans la poitrine du père de Marga?t.
-- Mon ami, lui dit-il, je me suis promis de vous dire toute la vérité, et je ne veux vous en rien cacher. éric a dit, et je vous le répète, pour vous mettre à même de prendre des mesures qui fassent cesser de telles calomnies, éric a dit que depuis plusieurs mois vous receviez fréquemment chez vous un jeune homme que sa position sociale devrait au contraire éloigner de Marga?t.
-- Octave!... balbutia Tanneguy.
-- Octave! répéta le curé; je sais moi, et tous vos amis savent aussi que le jeune Octave passe chez, vous, qui êtes le fermier de sa mère, quand le désir d'aller chasser dans les environs l'a réveillé de bonne heure; mais éric voit les choses autrement, et il les répand avec des commentaires qui peuvent nuire à la réputation de Marguerite.
-- Le misérable!...grommela Tanneguy en enfon?ant ses ongles dans la table.
-- Voilà ce qu'il dit, mon ami; il est triste, il est douloureux, d'avoir à défendre une enfant aussi pure que Marguerite de pareilles indignités, mais malheureusement, plus les calomnies sont absurdes, plus elles trouvent de crédit auprès de nos paysans... Vous y aviserez... et dans peu, j'en suis s?r, il n'en sera plus question...
Tanneguy ne répondit pas: son oeil s'était ardemment fixé au parquet; une paleur livide s'était répandue sur ses joues, son coeur battait à se rompre.
Il se leva.
-- Monsieur l'abbé, dit-il alors d'une voix profondément émue, je vous remercie pour Marguerite et pour moi, vous avez le courage de me dire la vérité, et maintenant je comprends bien des choses que je ne parvenais pas à m'expliquer.
-- Quelles choses? fit l'abbé.
-- Oh!... des riens; les sourires des uns, l'air contraint des autres, la joie maligne de tous... l'infamie, monsieur l'abbé. Marguerite est perdue...
-- Y pensez-vous!...
-- Perdue, vous dis-je... Marguerite est pure comme la rosée de mai; mais on ne le croit plus... je me vengerai.
-- Tanneguy!...
-- Ce n'est rien... soyez tranquille... j'aurai du calme, mais il y a du sang des Tanneguy dans mes veines, et nous verrons bien.
-- Que comptez-vous faire?
-- Vous allez le savoir, et en peu de mots, comme il convient... Marguerite va retourner avec votre domestique, la vieille Jeanne, à ma ferme de Lanmeur... Moi, pendant ce temps, j'irai régler mes affaires avec l'intendant des Kerhor, et demain je quitterai le pays...
-- Partir!
-- Demain, monsieur l'abbé...
-- Vous reviendrez sur cette résolution.
-- Je ne partirai pas sans vous serrer la main, monsieur l'abbé, mais je partirai...
En parlant ainsi, Tanneguy fit un geste d'adieu
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.