En chine | Page 5

Judith Gautier
presque comme on le parlait dans
les premiers âges du monde. Cette prodigieuse ancienneté est sans
doute ce qui explique la conformation restreinte et rudimentaire de la
langue parlée. Au lieu d'user des sons et articulations qui forment les
autres langues, le Chinois s'en est tenu aux monosyllabes, et cela
dénonce bien les premiers balbutiements de l'humanité.
Les monosyllabes qui composent la langue Chinoise sont à peu près au
nombre de six cents, dont la plupart ne sont encore que les mêmes sons
prononcés autrement, d'après les cinq intonations: le ton uni, le ton bas,
le ton ascendant, le ton descendant, le ton élevé. Mais ces nuances sont
très difficiles à savoir pour d'autres que l'oreille exercée d'un Chinois.
Chaque monosyllabe sert à nommer un grand nombre de mots
différents, et il serait impossible de se comprendre, si par un
mécanisme particulier, les chinois n'alliaient pas ces sons deux à deux,
trois à trois, ce qui forme en réalité l'équivalent de nos mots
polysyllabiques.
Si les mots du langage sont d'une simplicité primitive, l'écriture, par
contre, est devenue peu à peu horriblement compliquée.
L'écriture chinoise n'est pas composée de lettres, mais formée de signes
qui, dans le principe, étaient des dessins rudimentaires[2]:
le soleil, la montagne, la lune, l'arbre, l'enfant,

qui devinrent:
ji chan no chon tsin
[Note 2: Ces signes et dessins sont reproduits dans l'édition HTML du
présent projet.]
Puis ces signes se multiplièrent, se combinant entre eux à l'infini, se
compliquant, jusqu'à former une armée d'au moins quarante mille
caractères.
Plus de quatre cents millions d'hommes se servent de cette écriture, la
plus difficile qui soit au monde. La Chine, le Japon, la Corée, l'Annam,
la Cochinchine, tout en les prononçant d'une façon différente, font
usage de ces caractères.
Il existe en Chine au moins dix-huit dialectes de la langue parlée, tous
assez différents les uns des autres pour que ceux qui les parlent ne se
comprennent pas entre eux. Cela ajoute encore un écueil à l'étude du
Chinois, déjà d'une si extrême difficulté.

CHAPITRE III
L'INSTRUCTION ET LES GRANDS EXAMENS
En Chine, toutes les études portent presque exclusivement sur les
lettres et l'histoire: l'écolier doit apprendre à bien comprendre et à
retracer exactement les innombrables caractères idéographiques qui
composent l'écriture, en même temps, il lui faut apprendre
successivement par coeur les livres classiques; s'il est un bon élève, il
pourra se présenter aux examens annuels, puis subir les trois épreuves
du grand concours triennal et obtenir les grades de Siou-tsai, bachelier,
Kiu-gin, licencié, Tsin-se, docteur, et même devenir membre de la forêt
des pinceaux, Han-lin, c'est-à-dire académicien. Les épreuves triennales
ont lieu vers la fin septembre au chef-lieu provincial. Dès que les
candidats arrivent, ils sont minutieusement fouillés et introduits dans
d'étroites cellules munies d'un banc, d'une table et de quelques

ustensiles de cuisine, on les enferme au verrou et ils sont surveillés par
des soldats. Il ne leur est permis d'emporter avec eux aucun livre et de
communiquer avec qui que ce soit, les examens durent un jour entier et
le canon, qui donne le signal du commencement, en annonce la fin.
Voici le programme des trois épreuves: Composition sur un sujet donné
pris dans les quatre Livres. (Les quatre livres contiennent les dialogues
de Confucius avec ses disciples.) Composition sur un sujet pris dans
l'oeuvre de Ming-Tsin (Minicius). Composition sur un thème choisi
dans un livre de Confucius, intitulé «La Grande Étude.»
Développement d'un sujet pris dans l'invariable milieu, oeuvre d'un
petit-fils de Confucius.
Dans la deuxième épreuve, on commente par écrit des thèmes choisis
dans les cinq livres qui sont: le Chi-Kin, livre des vers; le Chou-Kin,
histoire de l'antiquité; le Che-Kin, livre mystérieux, philosophique, et
symbolique où il est traité du Ciel et de la Terre, des oracles, des sorts;
le Ly-Ki, livre des rites, qui enseigne les règles de conduite, la politesse,
l'étiquette; puis une composition poétique s'inspirant d'une pièce de
vers d'un poète célèbre.
Dans la troisième épreuve, on traite des sujets très divers: l'examinateur
pose des questions sur l'histoire ancienne et moderne, la politique
indigène ou étrangère, les mathématiques, la géographie, etc...
Les examinateurs sont d'une sévérité implacable; la plus minime erreur,
l'équivalent d'une virgule oubliée ferait tout perdre à la composition la
plus parfaite.
Il existe à ce propos une jolie légende: un jeune candidat, très appliqué
et d'un talent supérieur, lors d'un concours, omit dans le caractère X.
(Pou), négation, de tracer le point. À cause de cela, tous ses efforts,
tous ses travaux allaient être réduits à néant. Par bonheur, une fée
s'émut en faveur du jeune lettré; elle se changea en un petit insecte noir,
et quand le fatal feuillet passa sous les yeux de l'examinateur, elle se
mit à la place du point. De la main, le maître essaya de la chasser, mais
elle se
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