En chine | Page 6

Judith Gautier
tint ferme et il ne vit pas que le point manquait.
Celui qui triomphe dans toutes les épreuves, est considéré comme un

parfait lettré.
Il est probable qu'au point de vue Européen, et dans l'état actuel de la
science, on jugerait le savoir de ce triomphateur bien mince et trop
exclusivement littéraire.
Aujourd'hui d'ailleurs, tout va changer, tout change dans cette Chine
que les convoitises du monde ont enfin éveillée de son long sommeil.
Déjà, les réformes sont décidées, et c'est par celles de l'instruction que
l'on commence. On va supprimer, s'ils ne le sont pas déjà, ces fameux
examens, dont nous venons de vous donner le programme. On fonde
des écoles suivant les méthodes d'Europe, depuis l'instruction primaire,
jusqu'à l'université qui sont fréquentées par des milliers d'étudiants, et
même d'étudiantes; des revues, des journaux sont publiés journellement,
ou traduits en Chinois: Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Victor Hugo,
et bien d'autres.
Une jeunesse ardente et enthousiaste marche vers le progrès avec une
rapidité extraordinaire.

CHAPITRE IV
LA MUSIQUE
La Musique était en grand honneur en Chine, dès la plus lointaine
antiquité; on ne la considérait pas comme un amusement frivole, mais
comme la science des sciences, et les Chinois lui attribuaient de
singulières vertus. Elle était pour eux un écho de l'harmonie universelle
qui équilibre les mondes et elle seule était capable de guider et d'anoblir
les pensées et les actions des hommes.
La légende raconte que c'est Fou-si, empereur presque fabuleux, qui
inventa les premiers instruments de musique, qui rendaient, paraît-il,
sous ses doigts, un son céleste.
Mais l'histoire devient certaine, quand sous l'empereur Houang-Ty, un

savant chinois nommé Line-Lene fut chargé de fixer les lois des sons
musicaux. Ce sage se retira, alors, dans la solitude d'une magnifique
forêt de bambous située près des sources du Fleuve Jaune. Là, il médita
et il travailla pour arriver à fixer d'une façon décisive les règles et les
sons de la musique. Il tailla des tiges de bambou de différentes
grandeurs, et détermina la longueur de chacune, en rangeant l'un contre
l'autre les grains d'une sorte de gros millet noir, très fermes et très
égaux entre eux. Il se trouva qu'il fallait juste cent grains pour égaler le
tube qui donnait le son considéré comme fondamental. Line-Lene
divisa alors sa progression de dix en dix, et, du même coup, inventa le
système décimal, qui fut aussitôt appliqué aux poids et aux mesures. Il
donna le nom de Liu (base, règle, principe) à la note, élue comme
fondamentale: cette note correspond à la notre «fa». Le sage découvrit
bientôt que l'octave musicale pouvait se diviser en douze demi-tons. Il
coupa avec soin douze tubes qui rendaient exactement les douze
demi-tons. Il les distribua en Yang-Liu, liu parfaits; et en Yn-Liu, liu
imparfaits. Les Yang-liu correspondent aux notes naturelles, les Yn-liu
aux dièses. Line-Lene fixa ensuite sept modes formés chacun par la
réunion de cinq yang et de deux pien, c'est-à-dire de cinq tons et de
deux demi-tons: Fa, sol, la, si, do, ré, mi, en chinois: Kong, Chang, Ko,
Pien-Tche, Tche, Yu, Pien-Kong: exactement la gamme dont nous nous
servons aujourd'hui.
Pythagore, deux mille ans après Line-Lene, essaya lui aussi de
déterminer les rapports des tons au moyen de mesures et de poids, et il
est curieux de constater que, si l'on a reconnu des erreurs dans les
conclusions de Pythagore, celles du mathématicien Chinois sont
demeurées inattaquables.
Quelques siècles après Line-Lene, il y a quatre mille cinq cents ans
seulement, l'empereur Chun fonda un conservatoire de Musique, le
premier en date bien certainement. Seuls, les fils des princes et l'élite de
la noblesse étaient admis à y faire leurs études.
La direction de ce conservatoire fut confiée à un musicien très
renommé, qui n'avait pas pour nos oreilles un aussi joli nom que celui
d'Orphée--il s'appelait Kouai--mais, bien avant Orphée, cet illustre

artiste se vantait de pouvoir dompter les bêtes féroces par le charme de
sa musique et, chose plus invraisemblable, déjà en ces temps lointains,
de mettre d'accord entre eux les hommes politiques.
Cet empereur Chun était lui aussi musicien et même compositeur. Il est
l'auteur de cet hymne fameux, dédié aux ancêtres, qui, à travers
quarante-cinq siècles, nous est parvenu, paroles et musique, et est
encore chanté en Chine, dans les temples, à certaines fêtes annuelles.
L'état florissant de la musique se prolongea encore plusieurs siècles
après l'empereur Chun, puis elle déclina, et, à l'époque de Confucius,
elle était en pleine décadence et l'illustre philosophe le déplorait
amèrement. Cependant, de son temps, bien des vestiges de l'ancienne
musique existaient encore, et Confucius lui-même se rendit un jour
dans le royaume de King pour demander des leçons à un musicien
nommé Liang, dont la réputation était grande. On disait de lui qu'il
avait conservé les bonnes traditions, et le philosophe était impatient de
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