En Kabylie | Page 3

J. Vilbort
gauche le champ des manoeuvres. Le Conscrit, qui est mont�� sur le si��ge pour fumer, cherche �� distraire le G��n��ral de sa m��lancolie.
--Vois-tu, lui dit-il, l��-bas, au pied des collines, la Koubba [Mausol��e.] de Sidi-Mohamed Abd-er-Rhaman-bou-Kobrin? C'��tait un marabout fameux et un sorcier de premi��re force. Vers 1785, ce _Medhi,_ ou pr��curseur du _Moule-Saa,_ fonda la soci��t�� secr��te des _Khouans_ [Fr��res affili��s.]. Cette association politico-religieuse nous a fait beaucoup de mal, car elle a constamment souffl�� la r��volte au coeur des Arabes et surtout des Kabyles. Son foyer principal est en Kabylie, dans la _Zaou?a_ [Sanctuaire, lieu consacr��.] des A?th-Smahil, une des six tribus de la conf��d��ration des Guechtoula.
Abd-el-Kader, Bou-Bar'la et d'autres grands agitateurs sollicit��rent l'Oueurd [La rose.], l'initiation du Mek'-Addem [Celui qui avance.] ou chef des _Khouans_. Les fr��res affili��s s'engagent, par les plus terribles serments, �� ob��ir aveugl��ment au cheikh spirituel de l'ordre; ils forment en outre une sorte de franc-ma?onnerie, o�� ils se doivent entre eux aide et protection. On les pr��pare �� l'initiation par un je?ne prolong�� dans un endroit sombre, propice aux jongleries et aux hallucinations du fanatisme. Le g��n��ral Yusuf d��truisit cette Zaou?a pendant l'exp��dition d'ao?t et de septembre 1856. Il n'en ��pargna que le tombeau du saint, qui, dans les premi��res ann��es de ce si��cle, s'��tait retir�� chez les Guechtoula, o�� il mourut. Les Maures d'Alger lui ��rig��rent, de leur c?t��, le mausol��e que nous apercevons d'ici. Mais une koubba sans sarcophage, c'est comme une chasse sans reliques.
Donc une bande de pieux p��lerins, amplement munie d'ouadas [Offrandes religieuses.], gravit un beau matin les escarpements du Djurjura, et p��n��tra le soir dans la maison hospitali��re des A?th-Smahil.
Ils re?urent des tolbas [Religieux.] d'Abd-er-Rhaman l'accueil de la bouche en coeur que des moines n'ont jamais refus�� aux p��lerins qui viennent �� eux les mains pleines. On leur offrit du kouskoussou �� la viande, du lebben [lait aigre.], des figues et le g?te: bref, on les traita en h?tes de distinction. Mais quelle fut la stupeur des Kabyles quand le bruit se r��pandit dans leurs montagnes que les p��lerins avaient emport�� la d��pouille du saint pour la d��poser au Hamma d'Alger! D��j�� ils couraient aux armes. Un sage marabout s'avisa d'ouvrir le tombeau: le pr��curseur du Montader [Celui qui est attendu.] n'avait pas quitt�� les Adrars [Pierres.] kabyles.
Et voil�� comment l'illustre marabout, op��rant apr��s sa mort un prodige plus extraordinaire que tous ceux par lesquels il s'��tait signal�� de son vivant, est devenu _Bou-Kobrin,_ ou l'homme aux deux tombes.
--Ami, demanda madame Elvire, assise dans le coup�� entre M. Jules et moi, y a-t-il une moralit�� �� ton petit conte?
--Assur��ment, r��pondit le philosophe, et la voici: la superstition est un chancre qui ronge tous les peuples du monde. Aussi longtemps qu'on ne l'aura pas extirp��, il n'y aura rien de raisonnable �� attendre des hommes. Que les fanatiques d'Europe donnent la main aux fanatiques d'Afrique! ils se valent, ils sont fr��res. Ceux-ci b��atifient Bou-Kobrin et Lalla-Khr��didga, la sainte du Thamgouth [Le plus haut pic du Djurjura.]; ceux-l�� canonisent Labre, un fain��ant sordide, et Marie Alacocque, une nonne hyst��rique. Les j��suites font la guerre aux libres penseurs et �� toutes nos libert��s; les marabouts excitent les grands enfants d'Afrique �� d��tester les Roumis qui leur apportent l'instruction et le bien-��tre. Les uns et les autres conspirent contre la civilisation moderne; entre leurs mains la religion n'est qu'une arme politique, un instrument de r��action universelle.
Madame Elvire fit entendre une petite toux s��che qui lui ��tait famili��re et ajoutait je ne sais quoi de touchant �� sa beaut��.
--Ah! l'air est trop vif pour vous, Madame, dit M. Jules en lui tendant un pan de son manteau. Elle, dans le m��me instant, s'��cria:
--Prenez donc garde, postillon, vous ��crasez ce pauvre bourrico [Petit ane.].
La roue heurta si violemment l'un des amples couffins [Paniers en tiges d'alfa.] qui formaient comme un potager de chaque c?t�� de l'animal, que celui-ci en fut renvers�� dans le foss�� avec l'Arabe qu'il portait par surcro?t de charge.
Le g��n��ral poussa un cri.
--Bah! dit le postillon, ?a leur apprendra �� se garer une autre fois, et ce n'est pas l'Arabe qu'il faut plaindre, mais son bourrico qui n'est pas la plus grosse des deux b��tes.
Cependant l'Arabe et son petit ane s'��taient d��j�� repris sur leurs jambes. L'homme redressa ses couffins, et, ayant pris l'��lan d'un cavalier accompli, il se retrouva sur sa monture. _Har'r! Har'r!_ fit-il d'un accent guttural, et le bourrico recommen?a �� trotter menu au beau milieu de la route pour se faire culbuter de nouveau par un corricolo [Voiture publique d'Alger.].
--Je crois en v��rit��, observai-je, que les anes de ce pays ont la bosse de la fatalit�� aussi d��velopp��e que leurs ma?tres, et s'en tiennent comme eux �� ceci: ?Ce qui arrive doit arriver; nul n'��chappe �� sa destin��e.?
--Assur��ment, ajouta le Philosophe, l'Arabe en tombant dans le
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