Don Juan, ou le Festin de Pierre | Page 7

Molière
court, je l'ai tant sarmonné, que je nous sommes boutés dans une
barque, et pis j'avons tant fait cahin caha, que je les avons tirés de gliau, et pis je les
avons menés cheux nous auprès du feu, et pis ils se sant dépouillés tous nus pour se
sécher, et pis il y en est venu encore deux de la même bande, qui s'équiant sauvés tout
seuls ; et pis Mathurine est arrivée là, à qui l'en a fait les doux yeux. Vlà justement,
Charlotte, comme tout ça s'est fait.
- Charlotte -
Ne m'as-tu pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qu'est bien pu mieux fait que les autres ?
- Pierrot -
Oui, c'est le maître. Il faut que ce soit queuque gros, gros monsieur, car il a du dor à son
habit tout depis le haut jusqu'en bas ; et ceux qui le servont sont des monsieux
eux-mêmes ; et stapandant, tout gros monsieu qu'il est, il serait par ma fiqué nayé si je
n'aviomme été là.
- Charlotte -
Ardez (3) un peu.
- Pierrot -
Oh ! parguienne, sans nous il en avait pour sa maine de fèves (4).
- Charlotte -
Est-il encore cheux toi tout nu, Piarrot ?
- Pierrot -

Nannain, ils l'avont r'habillé tout devant nous. Mon Guieu, je n'en avais jamais vu
s'habiller. Que d'histoires et d'engingorniaux (5) boutont ces messieux-là les courtisans !
je me pardrais là dedans pour moi ; et j'étais tout ébobi de voir ça. Quien, Charlotte, ils
avont des cheveux qui ne tenont point à leu tête ; et ils boutont ça après tout, comme un
gros bonnet de filasse. Ils ant des chemises qui ant des manches où j'entrerions tout
brandis, toi et moi. En glieu d'haut-de-chausse, ils portont un garde-robe (6) aussi large
que d'ici à Pâques ; en glieu de pourpoint, de petites brassières qui ne leu venont pas
jusqu'au brichet (7) ; et, en glieu de rabat, un grand mouchoir de cou à réziau aveuc
quatre grosses houpes de linge qui leu pendont sur l'estomaque. Ils avont itou d'autres
petits rabats au bout des bras, et de grands en tonnois de passement aux jambes, et, parmi
tout ça, tant de rubans, tant de rubans, que c'est une vraie piquié. Ignia pas jusqu'aux
souliers qui n'en soyont farcis tout depis un bout jusqu'à l'autre ; et ils sont faits d'une
façon que je me romprais le cou aveuc.
- Charlotte -
Par ma fi, Piarrot, il faut que j'aille voir un peu ça.
- Pierrot -
Oh ! acoute un peu auparavant, Charlotte. J'ai queuque autre chose à te dire, moi.
- Charlotte -
Et bian ! dis, qu'est-ce que c'est ?
- Pierrot -
Vois-tu, Charlotte ? il faut, comme dit l'autre, que je débonde mon coeur. Je t'aime, tu le
sais bian, et je sommes pour être mariés ensemble ; mais marguienne, je ne suis point
satisfait de toi.
- Charlotte -
Quement ? qu'est-ce que c'est donc qu'iglia ?
- Pierrot -
Iglia que tu me chagraines l'esprit franchement.
- Charlotte -
Et quement donc ?
- Pierrot -
Tétiguienne, tu ne m'aimes point.
- Charlotte -
Ah ! ah ! n'est-ce que ça ?
- Pierrot -
Oui, ce n'est que ça, et c'est bian assez.
- Charlotte -
Mon Guieu, Piarrot, tu me viens toujou dire la même chose.
- Pierrot -
Je te dis toujou la même chose, parce que c'est toujou la même chose ; et si ce n'était pas
toujou la même chose, je ne te dirais pas toujou la même chose.
- Charlotte -
Mais, qu'est-ce qu'il te faut ? que veux-tu ?
- Pierrot -
Jerniguienne ! je veux que tu m'aimes.
- Charlotte -
Est-ce que je ne t'aime pas ?

- Pierrot -
Non, tu ne m'aimes pas ; et si, je fais tout ce que je pis pour ça. Je t'achète, sans reproche,
des rubans à tous les marciers qui passont ; je me romps le cou à t'aller dénicher des
marles ; je fais jouer pour toi les vielleux quand ce vient ta fête ; et tout ça comme si je
me frappois la tête contre un mur. Vois-tu, ça n'est ni biau ni honnête de n'aimer pas les
gens qui nous aimont.
- Charlotte -
Mais, mon Guieu, je t'aime aussi.
- Pierrot -
Oui, tu m'aimes d'une belle déguaine !
- Charlotte -
Quement veux-tu donc qu'on fasse ?
- Pierrot -
Je veux que l'en fasse comme l'en fait, quand l'en aime comme il faut.
- Charlotte -
Ne t'aimé-je pas aussi comme il faut ?
- Pierrot -
Non. Quand ça est, ça se voit, et l'en fait mille petites singeries aux personnes quand on
les aime du bon du coeur. Regarde la grosse Thomasse
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