Don Juan, ou le Festin de Pierre | Page 8

Molière
comme elle est assotée du jeune
Robain ; alle est toujou autour de li à l'agacer, et ne le laisse jamais en repos. Toujou al li
fait queuque niche, ou li baille queuque taloche en passant ; et l'autre jour qu'il était assis
sur un escabiau, al fut le tirer de dessous li, et le fit choir tout de son long par tarre. Jarni,
v'là où l'en voit les gens qui aimont ; mais toi, tu ne me dis jamais mot, t'es toujou là
comme eune vraie souche de bois ; et je passerais vingt fois devant toi, que tu ne te
grouillerais pas pour me bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose.
Ventreguienne ! ça n'est pas bian, après tout : et t'es trop froide pour les gens.
- Charlotte -
Que veux-tu que j'y fasse ? C'est mon himeur, et je ne me pis refondre.
- Pierrot -
Igna himeur qui quienne. Quand en a de l'amiquié pour les parsonnes, l'on en baille
toujou queuque petite signifiance.
- Charlotte -
Enfin, je t'aime tout autant que je pis ; et si tu n'es pas content de ça, tu n'as qu'à en aimer
queuque autre.
- Pierrot -
Eh bian ! vlà pas mon compte ? Tétigué, si tu m'aimais, me dirais-tu ça ?
- Charlotte -
Pourquoi me viens-tu aussi tarabuster l'esprit ?
- Pierrot -
Morgué ! queu mal te fais-je ? Je ne te demande qu'un peu d'amiquié.
- Charlotte -
Et bien ! laisse faire aussi, et ne me presse point tant. Peut-être que ça viendra tout d'un
coup sans y songer.
- Pierrot -
Touche donc là, Charlotte.
- Charlotte -

(donnant sa main.)
Eh bien ! quien.
- Pierrot -
Promets-moi donc que tu tâcheras de m'aimer davantage.
- Charlotte -
J'y ferai tout ce que je pourrai, mais il faut que ça vienne de lui-même. Piarrot, est-ce là
ce monsieu ?
- Pierrot -
Oui, le vlà.
- Charlotte -
Ah ! mon Guieu, qu'il est genti, et que ç'aurait été dommage qu'il eût été nayé !
- Pierrot -
Je revians tout à l'heure ; je m'en vas boire chopine, pour me rebouter tant soit peu de la
fatigue que j'ais eue.
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Scène II. - Don Juan, Sganarelle, Charlotte, dans le fond du théâtre.
- Don Juan -
Nous avons manqué notre coup, Sganarelle, et cette bourrasque imprévue a renversé avec
notre barque le projet que nous avions fait ; mais, à te dire vrai, la paysanne que je viens
de quitter répare ce malheur, et je lui ai trouvé des charmes qui effacent de mon esprit
tout le chagrin que me donnait le mauvais succès de notre entreprise. Il ne faut pas que ce
coeur m'échappe, et j'y ai déjà jeté des dispositions à ne pas me souffrir longtemps de
pousser des soupirs.
- Sganarelle -
Monsieur, j'avoue que vous m'étonnez. A peine sommes-nous échappés d'un péril de mort,
qu'au lieu de rendre grâce au ciel de la pitié qu'il a daigné prendre de nous, vous travaillez
tout de nouveau à attirer sa colère par vos fantaisies accoûtumées, et vos amours cr...
(Don Juan prend un ton menaçant.)
Paix, coquin que vous êtes, vous ne savez ce que vous dites, et monsieur sait ce qu'il fait.
Allons.
- Don Juan -
(apercevant Charlotte.)
Ah ! ah ! d'où sort cette autre paysanne, Sganarelle ? As-tu rien vu de plus joli ? et ne
trouves-tu pas, dis-moi, que celle-ci vaut bien l'autre ?
- Sganarelle -
Assurément.
(à part.)
Autre pièce nouvelle.
- Don Juan -
(à Charlotte.)
D'où me vient, la belle, une rencontre si agréable ? Quoi ! dans ces lieux champêtres,
parmi ces arbres et ces rochers, on trouve des personnes faites comme vous êtes.
- Charlotte -
Vous voyez, Monsieu.
- Don Juan -
Etes-vous de ce village ?

- Charlotte -
Oui, Monsieu.
- Don Juan -
Et vous y demeurez ?...
- Charlotte -
Oui, Monsieu.
- Don Juan -
Vous vous appelez ?
- Charlotte -
Charlotte, pour vous servir.
- Don Juan -
Ah ! la belle personne, et que ses yeux sont pénétrants !
- Charlotte -
Monsieu, vous me rendez toute honteuse.
- Don Juan -
Ah, n'ayez point de honte d'entendre dire vos vérités. Sganarelle, qu'en dis-tu ? Peut-on
rien voir de plus agréable ? Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Ah ! que cette taille est
jolie ! Haussez un peu la tête, de grâce. Ah ! que ce visage est mignon ! Ouvrez vos yeux
entièrement. Ah ! qu'ils sont beaux ! Que je voie un peu vos dents, je vous prie. Ah !
qu'elles sont amoureuses, et ces lèvres appétissantes ! Pour moi, je suis ravi, et je n'ai
jamais vu une si charmante personne.
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