Don Juan, ou le Festin de Pierre | Page 6

Molière
réflexion que, pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d'un couvent, que
vous avez rompu des voeux qui vous engageaient autre part, et que le ciel est fort jaloux
de ces sortes de choses. Le repentir m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste. J'ai cru que
notre mariage n'était qu'un adultère déguisé, qu'il nous attirerait quelque disgrâce d'en
haut, et qu'enfin je devais tâcher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner à
vos premières chaînes. Voudriez-vous, Madame, vous opposer à une si sainte pensée, et
que j'allasse, en vous retenant, me mettre le ciel sur les bras ; que pour...
- Done Elvire -
Ah ! scélérat, c'est maintenant que je te connais tout entier ; et, pour mon malheur, je te
connais lorsqu'il n'en est plus temps, et qu'une telle connaissance ne peut plus me servir
qu'à me désespérer. Mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni, et que le même
ciel dont tu te joues me saura venger de ta perfidie.
- Don Juan -
Sganarelle, le ciel !
- Sganarelle -
Vraiment oui, nous nous moquons bien de cela, nous autres.
- Don Juan -
Madame...
- Done Elvire -
Il suffit. je n'en veux pas ouïr davantage, et je m'accuse même d'en avoir trop entendu.
C'est une lâcheté que de se faire expliquer trop sa honte ; et sur de tels sujets, un noble
coeur, au premier mot, doit prendre son parti. N'attends pas que j'éclate ici en reproches
et en injures ; non, non, je n'ai point un courroux à exhaler en paroles vaines, et toute sa
chaleur se réserve pour sa vengeance. Je te le dis encore, le ciel te punira, perfide, de
l'outrage que tu me fais, et si le ciel n'a rien que tu puisses appréhender, appréhende du
moins la colère d'une femme offensée.
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Scène IV. - Don Juan, Sganarelle.
- Sganarelle -
(à part.)
Si le remords le pouvait prendre !
- Don Juan -
(après un moment de réflexion.)
Allons songer à l'exécution de notre entreprise amoureuse.
- Sganarelle -
(seul.)
Ah ! quel abominable maître me vois-je obligé de servir !

ACTE SECOND. ------------
Le théâtre représente une campagne au bord de la mer.
Scène première. - Charlotte, Pierrot.
- Charlotte -
Notre dinse, Piarrot, tu t'es trouvé là bien à point !
- Pierrot -

Parguienne, il ne s'en est pas fallu l'époisseur d'une éplingue, qu'ils ne se sayant nayés
tous deux.
- Charlotte -
C'est donc le coup de vent d'à matin qui les avait renvarsés dans la mar ?
- Pierrot -
Aga (1), quien, Charlotte, je m'en vas te conter tout fin drait comme cela est venu : car,
comme dit l'autre, je les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai. Enfin donc
j'étions sur le bord de la mar, moi et le gros Lucas, et je nous amusions à batifoler avec
des mottes de tarre que je nous jesquions à la tête ; car, comme tu sais bian, le gros Lucas
aime à batifoler, et moi, par fouas, je batifole itou. En batifolant donc, pisque batifoler y a,
j'ai aparçu de tout loin queuque chose qui grouillait dans gliau, et qui venait comme
envars nous par secousse. Je voyais cela fixiblement, et pis tout d'un coup je voyais que
je ne voyais plus rien. Eh ! Lucas, c'ai-je fait, je pense que vlà des hommes qui nageant
là-bas. Voire, ce m'a-t-il fait, t'as été au trépassement d'un chat, t'as la vue trouble (2).
Palsanguienne, c'ai-je fait, je n'ai point la vue trouble, ce sont des hommes. Point du tout,
ce m'a-t-il fait, t'as la barlue. Veux-tu gager, c'ai-je fait, que je n'ai point la barlue, c'ai-je
fait, et que ce sont deux hommes, c'ai-je fait, qui nageant droit ici, c'ai-je fait ?
Morguienne, ce m'a-t-il fait, je gage que non. Oh ! ça, c'ai-je fait, veux-tu gager dix sous
que si ? Je le veux bian, ce m'a-t-il fait, et, pour te montrer, vlà argent su jeu, ce m'a-t-il
fait. Moi, je n'ai point été ni fou, ni estourdi ; j'ai bravement bouté à tarre quatre pièces
tapées, et cinq sous en doubles, jerniguienne, aussi hardiment que si j'avais avalé un varre
de vin, car je sis hasardeux, moi, et je vas à la débandade. Je savais bian ce que je faisais
pourtant. Queuque gniais ! Enfin donc, je n'avons pas putôt eu gagé, que j'avons vu les
deux hommes tout à plain, qui nous faisiant signe de les aller querir ; et moi de tirer
auparavant les enjeux. Allons, Lucas, c'ai-je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont ; allons
vite à leu secours. Non, ce m'a-t-il dit, ils m'ont fait pardre. Oh ! donc, tanquia qu'à la
parfin, pour le faire
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