Discours Civiques de Danton | Page 7

Georges Jacques Danton
me dire: que Saint-Just, par son entêtement, avait failli occasionner
la chute des membres des deux comités, car il voulait, ajouta-t-il, que les accusés fussent
présents lorsqu'il aurait lu le rapport à la Convention nationale; et telle était son
opiniâtreté que, voyant notre opposition formelle, il jeta de rage son chapeau dans le feu,
et nous planta là. Robespierre était aussi de son avis; il craignait qu'en faisant arrêter
préalablement ces députés, celle démarche ne fût tôt ou tard répréhensible; mais, comme
la peur était un argument irrésistible auprès de lui, je me servis de cette arme pour le
combattre: Tu peux courir la chance d'être guillotiné, si tel est ton plaisir; pour moi, je
veux éviter ce danger, en les faisant arrêter sur-le-champ, car il ne faut point se faire
illusion sur le parti que nous devons prendre; tout se réduit à ces mots: Si nous ne les
faisons point guillotiner, nous le serons nous-mêmes." [Note: P.-A. Taschereau.--Fargues
à Maximilien Robespierre aux Enfers; Paris, an III, p. 16.--Cité dans les Annales
révolutionnaires, n° 1, janvier-mars 1908, p. 101.]
L'hésitation de Robespierre vaincue, Danton était perdu.
L'accusation contre Danton compléta le crime. C'était le compléter, l'aggraver, en effet,
que d'élever contre lui le reproche de la vénalité. De source girondine, le grief fut repris
par les Montagnards; et il a fallu attendre près d'un siècle pour en laver la mémoire
outragée et blasphémée de Danton. Mais le premier pas fait, les autres ne coûtèrent guère
et on sait jusqu'où Saint-Just alla. Ici point d'excuse. Cette haute et pure figure se voile
tout à coup, s'efface et il ne demeure qu'un faussaire odieux, celui qui donnera, dans le
dos de Danton, le coup de couteau dont il ne se relèvera pas. Fouquier-Tinville, dans son
dernier mémoire justificatif, a éclairé les dessous de cette terrible machination, il a dit
d'où était venu le coup, on a reconnu la main... Hélas! la main qui, à Strasbourg et sur le
Rhin, signa les plus brillantes et les plus enflammées des proclamations jacobines!
Au 9 thermidor, quand, immobile, muet, déchu, Saint-Just se tient debout devant la
tribune où Robespierre lance son dernier appel à la raison française, dans le tumulte
hurlant de la Convention déchaînée, peut-être, devinant l'expiation, Saint-Just se
remémora-t-il les suprêmes paroles de Danton au Tribunal révolutionnaire: "Et toi,

Saint-Just, tu répondras à la postérité de la diffamation lancée contre le meilleur ami du
peuple, contre son plus ardent défenseur!" [Note: Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 4e
partie, n° 21.]
Et c'est ce qui fait cette jeune et noble gloire un peu moins grande et un peu moins pure.

IV
L'improvisation, si elle nuisit à la pureté littéraire des discours de Danton, eut encore
d'autres désavantages pour lui. Elle nous les laissa incomplets, souvent dénaturés et
altérés. Rares sont ceux-là qui nous sont parvenus dans leur ensemble. Alors que des
orateurs comme Vergniaud et Robespierre prenaient soin d'écrire leurs discours et d'en
corriger les épreuves au Moniteur, Danton dédaignait de s'en préoccuper. Il ne demandait
point pour ses paroles la consécration de l'avenir, et il avait à leur égard la manière de
mépris et de dédain dont il usait envers ses accusateurs. C'est pourquoi beaucoup de ces
discours sont à jamais perdus. Ceux qui demeurent nous sont arrivés par les versions du
Moniteur et du Lorgotachygraphe. Elles offrent entre elles des variantes que M. Aulard
avait déjà signalées. Entre les deux nous avions à choisir. C'est à celle du Moniteur que
nous nous sommes arrêté. Outre son caractère officiel,--dénaturé, nous le savons bien,
mais officiel quand même,--elle offre au lecteur, désireux de restituer le discours donné à
son ensemble, la facilité de se retrouver plus aisément.
Tel discours publié ici, nous ne le dissimulons pas, prend un caractère singulièrement
plus significatif lu dans le compte rendu d'une séance. Mais cette qualité devenait un
défaut pour quelques autres qu'elle privait de leur cohésion, de l'enchaînement logique
des périodes. C'est pourquoi nous nous sommes décidé à supprimer, à moins d'une
nécessité impérieuse, tout ce qui pouvait en contrarier la lecture, telles les interruptions
sans importance, tels les applaudissements, ce qui, enfin, n'avait en aucune manière
modifié la suite du discours.
Nous avons, au contraire, scrupuleusement respecté tout ce qui avait décidé l'orateur à
répondre sur-le-champ aux observations présentées. C'est le cas où nous nous sommes
trouvé pour la séance où Danton s'expliqua sur ses relations avec Dumouriez, et quelques
autres encore. Un choix, d'autre part, s'imposait parmi tous les discours du conventionnel.
Ce n'est pas à l'ensemble de son oeuvre oratoire que nous avons prétendu ici, et d'ailleurs,
il serait à coup sûr impossible de le reconstituer rigoureusement.
Ce choix, la matière même des discours nous le facilita singulièrement. Tous les sujets de
quelque importance furent discutés et traités par Danton avec assez d'abondance.
L'obligation de
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