Discours Civiques de Danton | Page 6

Georges Jacques Danton
bien-être et
quelque liberté sont notre partage aujourd'hui dans le domaine politique et matériel, c'est
à la Terreur que nous les devons. La responsabilité était terrible. Danton l'assuma devant
l'Histoire, courageusement, franchement, sans arrière-pensée, car, on l'a avoué, l'ombre
de la trahison et de la lâcheté effrayait cet homme. [Note: Mémoires de R. Levasseur (de
la Sarthe), tome II.] Il se révéla l'incarnation vibrante et vivante de la défense nationale à
l'heure la plus tragique de la race française.
Cette défense, la Terreur l'assura à l'intérieur et à l'extérieur. À l'instant même où elle
triomphait de toutes résistances, Danton faiblit. Pour la première fois il recula, il se sentit
fléchir sous l'énorme poids de cette responsabilité et il douta de lui-même et de la justice
de la postérité. Et celui que Garat appelait un grand seigneur de la Sans-culotterie [Note:
Louis BLANC, Histoire de là Révolution française, t. VII, p. 97.] eut comme honte de ce
qui lui allait assurer une indéfectible gloire. Et c'est l'heure que la réaction guette, dans
cette noble et courageuse vie, pour lui impartir sa dédaigneuse indulgence; c'est l'heure
où elle est tentée d'absoudre Danton des coups qu'il lui porta, au nom d'une clémence qui
ne fut chez lui que de la lassitude.

III
C'est contre cet outrageant éloge de la clémence de Danton qu'il faut défendre sa
mémoire. La réaction honore en lui la victime de la pitié et de Robespierre. C'est pour
avoir tenté d'arrêter la marche de la Terreur qu'il succomba, répète le thème habituel des
apologistes malgré eux.
Il faut bien le dire: pour faire tomber Danton, il ne fallut que Danton lui-même, et, si cette
mort fut le crime de Maximilien, elle fut aussi son devoir.
La Gironde abattue, Danton se trouva en présence de deux partis réunis cependant par les
mêmes intérêts: les Hébertistes à la Commune, les Montagnards à la Convention. Entre
eux point de place pour les modérés, ce modéré fût-il Danton. Il revenait, lui, de sa ferme
d'Arcis-sur-Aube, de cette maison paysanne dont le calme et le repos demeuraient son
seul regret dans la terrible lutte. Il estimait avoir fait son devoir jusqu'au bout, il estimait
peut-être aussi que la Révolution était au terme de son évolution, qu'elle était désormais
établie sur des bases indestructibles. On sait quelles illusions c'étaient là en 1794.
Pourtant Danton y crut, il y crut pour l'amour du repos, par lassitude.
Il s'arrêta alors qu'il eût fallu continuer la rude marche, il s'arrêta alors que la Patrie
demandait un dernier effort. Son influence était puissante encore; vers cette grande tête
ravagée et illuminée se tournaient un grand nombre de regards sur les bancs de la
Montagne. De cette bouche éloquente, pleine d'éclats éteints, de foudres muettes, pouvait
venir le mot d'ordre fatal. La lassitude de Danton pouvait être prise par les Dantonistes
comme une réprobation; un mot de fatigue pouvait être interprété comme un ordre de
recul. Reculer, c'était condamner la Terreur, la paralyser au moment de son dernier effort.
Et c'est ici que le devoir de Maximilien s'imposa: il lui fallut choisir de la Révolution ou
de Danton. Il choisit. C'est ce devoir qu'on lui impute comme un crime.
Et pourtant! pourtant, oui, c'était un crime, cet austère, atroce et formidable Devoir!

L'homme qu'il fallait frapper au nom du progrès révolutionnaire parce qu'il devenait un
danger, cet homme avait réveillé l'énergie guerrière de la France, cet homme avait, pour
appeler à la défense du sol, trouvé des mots qui avaient emporté et déchiré le coeur du
peuple, il avait été son incarnation, son écho, sa bouche d'airain. Cet homme avait
proposé tout ce qui avait sauvé la Patrie et c'était au nom de ces mêmes mesures qu'il
importait de le frapper. Et il fut frappé.
Robespierre ne se résigna point à l'atroce tâche avec la joie sauvage, la cruauté froide et
la facilité dont on charge sa mémoire. Un de ceux qui se décidèrent à abattre Danton sans
discuter, Vadier, ce même Vadier qui disait: "Nous allons vider ce Turbot farci!", Vadier
reconnut plus tard qu'il lui avait, au contraire, fallu vaincre l'opposition de Robespierre, le
retard que l'Incorruptible apportait à se décider pour l'arrestation de son ancien ami. Non
point qu'il n'en avait pas compris la nécessité, nous venons de montrer que pour
l'inflexibilité de Robespierre la chose était un devoir, mais parce qu'il lui répugnait
d'arracher de son coeur le souvenir de l'amour que Danton avait porté à la patrie. Cet aveu
de Vadier fut consigné par Taschereau-Fargues, dans une brochure devenue rare, où,
rapportant les détails de l'arrestation, il ajoute: "Pourquoi ne dirai-je point que cela fut un
assassinat médité, préparé de longue main, lorsque deux jours après cette séance où
présidait le crime, le représentant Vadier, me racontant toutes les circonstances de cet
événement, finit par
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