gloire, son nom, son
honneur à la Patrie. "Que m'importe d'être appelé buveur de sang, pourvu que la patrie
soit sauvée!" Et il la sauvait. Il était féroce, oui, à la tribune, quand il parlait des ennemis
de son pays. Il en appelait aux mesures violentes, extrêmes, au nom de son amour pour la
France. Il était terrible parce qu'il aimait la Patrie avant l'humanité.
Et pourtant, on l'a dit, cet homme "sous des formes âprement révolutionnaires, cachait
des pensées d'ordre social et d'union entre les patriotes". Qui, aujourd'hui, après les
savants travaux de feu A. Bougeart [Note: ALFRED BOUGEART. Danton, documents
authentiques pour servir à l'histoire de la Révolution française; 1861, in-8°.] et du Dr
Robinet, ne saurait souscrire a cette opinion d'Henri Martin? Son idéal, en effet, était
l'ordre, la concorde entre les républicains. Jusque dans son dernier discours à la
Convention, alors que déjà à l'horizon en déroute montait l'aube radieuse et terrible du 16
germinal, alors encore il faisait appel à la concorde, à la fraternité, à l'ordre. Sorti de la
classe qui l'avait vu naître, il ne pouvait être un anarchiste, un destructeur de toute
harmonie. Il aimait trop son pays pour n'avoir point l'orgueil de construire sur les ruines
de la monarchie la cité nouvelle promise au labeur et à l'effort de la race libérée. Était-il
propre à cette tâche? L'ouvrier de la première heure aurait-il moins de mérite que celui de
la dernière? "C'était un homme bien extraordinaire, fait pour tout", disait de lui
l'empereur exilé, revenu au jacobinisme auquel il avait dû de retrouver une France neuve.
[Note: BARON GOURGAUD. Journal inédit de Sainte-Hélène (1815-1818), avec
préface et notes de MM. le vicomte de Grouchy et Antoine Guillois.]
La réorganisation, l'organisation faudrait-il dire, fut son grand but. Qu'on lise ces discours,
on y verra cette préoccupation constante: satisfaire les besoins de la République, les
devancer, l'organiser. Cela, certes, est indéniable.
Ainsi que Carnot organisa la victoire, il médita d'organiser la République. Ce qui est non
moins incontestable, c'est que le temps et les moyens lui firent défaut, et que, lassé du
trop grand effort donné, son courage fléchit. Le jour où il souhaita le repos fut la veille de
sa ruine.
Son programme politique, M. Antonin Dubost l'a exposé avec une sobre netteté dans son
bel ouvrage sur la politique dantoniste. "Repousser l'invasion étrangère, écrit-il, briser les
dernières résistances rétrogrades et constituer un gouvernement républicain en le fondant
sur le concours de toutes les nuances du parti progressif, indépendamment de toutes vues
particulières, de tout système quelconque, dans l'unique but de permettre au pays de
poursuivre son libre développement intellectuel, moral et pratique entravé depuis si
longtemps par la coalition rétrograde; mettre au service de cette oeuvre une énergie
terrible, nécessaire pour conquérir notre indépendance nationale et pour rompre les fils de
la conspiration royaliste, et une opiniâtreté comme on n'en avait pas encore vu à établir
entre tous les républicains un accord étroit sans lequel la fondation de la république était
impossible, tel était le programme de Danton à son entrée au pouvoir. Ce programme, il
en a poursuivi l'application jusqu'à son dernier jour, à travers des résistances inouïes et
avec un esprit de suite, une souplesse, une appropriation des moyens aux circonstances
qui étonneront toujours des hommes doués de quelque aptitude politique." [Note:
ANTONIN DUBOST, vol. cit., p. 56.]
Ces moyens, on le sait, furent souvent violents, mais ici encore ils étaient, reprenons
l'expression de M. Dubost, appropriés aux circonstances. Or, jamais pays ne se trouva en
pareille crise, en présence de telles circonstances. Terribles, elles durent être combattues
terriblement. À la Terreur prussienne répondit la Terreur française. L'arme se retourna
contre ceux qui la brandissaient. C'est là l'explication et la justification--nous ne disons
pas excuse,--du système. Cette explication est vieille, nul ne l'ignore, mais c'est la seule
qui puisse être donnée, c'est la seule qui ait été combattue.
En effet, enlevez à la Terreur la justification des circonstances, et c'est là un régime de
folie et de sauvagerie. Thème facile aux déclarations réactionnaires, on ne s'arrête que là.
C'est un argument qui semble péremptoire et sans réplique; le lieu commun qui autorise
les pires arguties et fait condamner, pêle-mêle, Danton, Robespierre, Fouquier-Tinville,
Carrier, Lebon et Saint-Just. Cette réprobation, Danton, par anticipation, l'assuma. Il
consentit à charger sa mémoire de ce qui pouvait sembler violent, excessif et inexorable
dans les mesures qu'il proposait.
Le salut de la Patrie primait sa justification devant la postérité.
Or, il n'échappe à quiconque étudie avec son âme, avec sa raison, l'heure de cette crise,
que c'est précisément là qu'il importe de chercher la glorification de Danton. Ces mesures
contre les suspects, le tribunal révolutionnaire, l'impôt sur les grosses fortunes, la Terreur
enfin, ce fut lui qui la proposa. Et la Terreur sauva la France. Si quelque
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