Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu | Page 7

Maurice Joly
un pas dans le sens de vos id��es.
MONTESQUIEU.
Je vais vous le prouver tr��s-facilement, si vous voulez bien me suivre encore.
MACHIAVEL.
Tr��s-volontiers, mais prenez garde; je crois que vous vous engagez beaucoup.

TROISI��ME DIALOGUE.
MONTESQUIEU.
Une masse ��paisse d'ombres se dirige vers cette plage; la r��gion o�� nous sommes sera bient?t envahie. Venez de ce c?t��; sans cela, nous ne tarderions pas �� ��tre s��par��s.
MACHIAVEL.
Je n'ai point trouv�� dans vos derni��res paroles la pr��cision qui caract��risait votre langage au commencement de notre entretien. Je trouve que vous avez exag��r�� les cons��quences des principes qui sont renferm��s dans l'Esprit des lois.
MONTESQUIEU.
J'ai ��vit�� �� dessein, dans cet ouvrage, de faire de longues th��ories. Si vous le connaissiez autrement que par ce qui vous en a ��t�� rapport��, vous verriez que les d��veloppements particuliers que je vous donne ici d��coulent sans effort des principes que j'ai pos��s. Au surplus, je ne fais pas difficult�� d'avouer que la connaissance que j'ai acquise des temps nouveaux n'ait modifi�� ou compl��t�� quelques-unes de mes id��es.
MACHIAVEL.
Comptez-vous s��rieusement soutenir que le despotisme est incompatible avec l'��tat politique des peuples de l'Europe?
MONTESQUIEU.
Je n'ai pas dit tous les peuples; mais je vous citerai, si vous voulez, ceux chez qui le d��veloppement de la science politique a amen�� ce grand r��sultat.
MACHIAVEL.
Quels sont ces peuples?
MONTESQUIEU.
L'Angleterre, la France, la Belgique, une portion de l'Italie, la Prusse, la Suisse, la Conf��d��ration germanique, la Hollande, l'Autriche m��me, c'est-��-dire, comme vous le voyez, presque toute la partie de l'Europe sur laquelle s'��tendait autrefois le monde romain.
MACHIAVEL.
Je connais un peu ce qui s'est pass�� en Europe depuis 1527 jusqu'au temps actuel, et je vous avoue que je suis fort curieux de vous entendre justifier votre proposition.
MONTESQUIEU.
Eh bien, ��coutez-moi, et je parviendrai peut-��tre �� vous convaincre. Ce ne sont pas les hommes, ce sont les institutions qui assurent le r��gne de la libert�� et des bonnes moeurs dans les ��tats. De la perfection ou de l'imperfection des institutions d��pend tout le bien, mais d��pendra n��cessairement aussi tout le mal qui peut r��sulter pour les hommes de leur r��union en soci��t��; et, quand je demande les meilleures institutions, vous comprenez bien que, suivant le mot si beau de Solon, j'entends les institutions les plus parfaites que les peuples puissent supporter. C'est vous dire que je ne con?ois pas pour eux des conditions d'existence impossibles, et que par l�� je me s��pare de ces d��plorables r��formateurs qui pr��tendent construire les soci��t��s sur de pures hypoth��ses rationnelles sans tenir compte du climat, des habitudes, des moeurs et m��me des pr��jug��s.
A l'origine des nations, les institutions sont ce qu'elles peuvent. L'antiquit�� nous a montr�� des civilisations merveilleuses, des ��tats dans lesquels les conditions du gouvernement libre ��taient admirablement comprises. Les peuples de l'��re chr��tienne ont eu plus de difficult�� �� mettre leurs constitutions en harmonie avec le mouvement de la vie politique; mais ils ont profit�� des enseignements de l'antiquit��, et avec des civilisations infiniment plus compliqu��es, ils sont cependant arriv��s �� des r��sultats plus parfaits.
Une des causes premi��res de l'anarchie, comme du despotisme, a ��t�� l'ignorance th��orique et pratique dans laquelle les ��tats de l'Europe ont ��t�� pendant si longtemps sur les principes qui pr��sident �� l'organisation des pouvoirs. Comment, lorsque le principe de la souverainet�� r��sidait uniquement dans la personne du prince, le droit de la nation pouvait-il ��tre affirm��? Comment, lorsque celui qui ��tait charg�� de faire ex��cuter les lois, ��tait en m��me temps le l��gislateur, sa puissance n'e?t-elle pas ��t�� tyrannique? Comment les citoyens pouvaient-ils ��tre garantis contre l'arbitraire, lorsque, le pouvoir l��gislatif et le pouvoir ex��cutif ��tant d��j�� confondus, le pouvoir judiciaire venait encore se r��unir dans la m��me main[2]?
Je sais bien que certaines libert��s, que certains droits publics qui s'introduisent t?t ou tard dans les moeurs politiques les moins avanc��es, ne laissaient pas que d'apporter des obstacles �� l'exercice illimit�� de la royaut�� absolue; que, d'un autre c?t��, la crainte de faire crier le peuple, l'esprit de douceur de certains rois, les portaient �� user avec mod��ration des pouvoirs excessifs dont ils ��taient investis; mais il n'en est pas moins vrai que ces garanties si pr��caires ��taient �� la merci du monarque qui poss��dait en principe les biens, les droits et la personne des sujets. La division des pouvoirs a r��alis�� en Europe le probl��me des soci��t��s libres, et si quelque chose peut adoucir pour moi l'anxi��t�� des heures qui pr��c��dent le jugement dernier, c'est la pens��e que mon passage sur la terre n'a point ��t�� ��tranger �� cette grande ��mancipation.
Vous ��tes n��, Machiavel, sur les limites du moyen-age, et vous avez vu, avec la renaissance des arts, s'ouvrir l'aurore des temps modernes; mais la soci��t�� au milieu de laquelle vous avez v��cu, ��tait, permettez-moi de le dire, encore tout empreinte des errements de la barbarie; l'Europe ��tait un tournoi. Les id��es de guerre, de domination et de conqu��te remplissaient la
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