Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu | Page 5

Maurice Joly
peut-��tre plus attach��e au vrai Dieu que les philosophes du XVIIIe si��cle.
MONTESQUIEU.
Vos derni��res paroles me trouvent sans col��re, Machiavel, et je vous ai ��cout�� avec attention. Voulez-vous m'entendre, et me laisserez-vous en user �� votre ��gard avec la m��me libert��?
MACHIAVEL.
Je me tiens pour muet, et j'��coute dans un respectueux silence celui que l'on a appel�� le l��gislateur des nations.

DEUXI��ME DIALOGUE.
MONTESQUIEU.
Vos doctrines n'ont rien de nouveau pour moi, Machiavel; et, si j'��prouve quelque embarras �� les r��futer, c'est bien moins parce qu'elles inqui��tent ma raison que parce que, fausses ou vraies, elles n'ont point de base philosophique. J'entends bien que vous ��tes, avant tout, un homme politique, et que les faits vous touchent de plus pr��s que les id��es. Mais vous conviendrez cependant que, quand il s'agit de gouvernement, il faut aboutir �� des principes. Vous ne faites aucune place, dans votre politique, ni �� la morale, ni �� la religion, ni au droit; vous n'avez �� la bouche que deux mots: la force et l'astuce. Si votre syst��me se r��duit �� dire que la force joue un grand r?le dans les affaires humaines, que l'habilet�� est une qualit�� n��cessaire �� l'homme d'��tat, vous comprenez bien que c'est l�� une v��rit�� qui n'a pas besoin de d��monstration; mais; si vous ��rigez la violence en principe, l'astuce en maxime de gouvernement; si vous ne tenez compte dans vos calculs d'aucune des lois de l'humanit��, le code de la tyrannie n'est plus que le code de la brute, car les animaux aussi sont adroits et forts, et il n'y a, en effet, parmi eux d'autre droit que celui de la force brutale. Mais je ne crois pas que votre fatalisme lui-m��me aille jusque-l��, car vous reconnaissez l'existence du bien et du mal.
Votre principe, c'est que le bien peut sortir du mal, et qu'il est permis de faire le mal quand il en peut r��sulter un bien. Ainsi, vous ne dites pas: Il est bien en soi de trahir sa parole; il est bien d'user de la corruption, de la violence et du meurtre. Mais vous dites: On peut trahir quand cela est utile, tuer quand cela est n��cessaire, prendre le bien d'autrui quand cela est avantageux. Je me hate d'ajouter que, dans votre syst��me, ces maximes ne s'appliquent qu'aux princes, et quand il s'agit de leurs int��r��ts ou de ceux de l'��tat. En cons��quence, le prince a le droit de violer ses serments; il peut verser le sang �� flots pour s'emparer du pouvoir ou pour s'y maintenir; il peut d��pouiller ceux qu'il a proscrits, renverser toutes les lois, en donner de nouvelles et les violer encore; dilapider les finances, corrompre, comprimer, punir et frapper sans cesse.
MACHIAVEL.
Mais n'est-ce pas vous-m��me qui avez dit que, dans les ��tats despotiques la crainte ��tait n��cessaire, la vertu inutile, l'honneur dangereux; qu'il fallait une ob��issance aveugle, et que le prince ��tait perdu s'il cessait de lever le bras un instant[1].
[1] Esp. des lois, p. 24 et 25, chap. IX, livre III.
MONTESQUIEU.
Oui, je l'ai dit; mais quand je constatais, comme vous, les conditions affreuses auxquelles se maintient le pouvoir tyrannique, c'��tait pour le fl��trir et non pour lui ��lever des autels; c'��tait pour en inspirer l'horreur �� ma patrie qui jamais, heureusement pour elle, n'a courb�� la t��te sous un pareil joug. Comment ne voyez-vous pas que la force n'est qu'un accident dans la marche des soci��t��s r��guli��res, et que les pouvoirs les plus arbitraires sont oblig��s de chercher leur sanction dans des consid��rations ��trang��res aux th��ories de la force. Ce n'est pas seulement au nom de l'int��r��t, c'est au nom du devoir qu'agissent tous les oppresseurs. Ils le violent, mais ils l'invoquent; la doctrine de l'int��r��t est donc aussi impuissante �� elle seule que les moyens qu'elle emploie.
MACHIAVEL.
Ici, je vous arr��te; vous faites une part �� l'int��r��t, cela suffit pour justifier toutes les n��cessit��s politiques qui ne sont pas d'accord avec le droit.
MONTESQUIEU.
C'est la raison d'��tat que vous invoquez. Remarquez donc que je ne puis pas donner pour base aux soci��t��s pr��cis��ment ce qui les d��truit. Au nom de l'int��r��t, les princes et les peuples, comme les citoyens, ne commettront que des crimes. L'int��r��t de l'��tat, dites-vous! Mais comment reconna?trai-je s'il lui est r��ellement profitable de commettre telle ou telle iniquit��? Ne savons-nous pas que l'int��r��t de l'��tat, c'est le plus souvent l'int��r��t du prince en particulier, ou celui des favoris corrompus qui l'entourent? Je ne suis pas expos�� �� des cons��quences pareilles en donnant le droit pour base �� l'existence des soci��t��s, parce que la notion du droit trace des limites que l'int��r��t ne doit pas franchir.
Que si vous me demandez quel est le fondement du droit, je vous dirai que c'est la morale dont les pr��ceptes n'ont rien de douteux ni d'obscur; parce qu'ils sont ��crits dans toutes les religions, et qu'ils sont imprim��s en
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