Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu | Page 4

Maurice Joly
balance de son c?t��, serait une indigne tromperie; toute usurpation du pouvoir souverain serait un acte qui m��riterait la mort. Rien ne serait l��gitime que ce qui serait fond�� sur le droit! mais, je vous l'ai dit tout �� l'heure, et je le maintiens, m��me en pr��sence de l'histoire contemporaine: tous les pouvoirs souverains ont eu la force pour origine, ou, ce qui est la m��me chose, la n��gation du droit. Est-ce �� dire que je le proscris? Non; mais je le regarde comme d'une application extr��mement limit��e, tant dans les rapports des nations entre elles que dans les rapports des gouvernants avec les gouvern��s.
Ce mot de droit lui-m��me, d'ailleurs, ne voyez-vous pas qu'il est d'un vague infini? O�� commence-t-il, o�� finit-il? Quand le droit existera-t-il, et quand n'existera-t-il pas? Je prends des exemples. Voici un ��tat: la mauvaise organisation des pouvoirs publics, la turbulence de la d��mocratie, l'impuissance des lois contre les factieux, le d��sordre qui r��gne partout, vont le pr��cipiter dans la ruine. Un homme hardi s'��lance des rangs de l'aristocratie ou du sein du peuple; il brise tous les pouvoirs constitu��s; il met la main sur les lois, il remanie toutes les institutions, et il donne vingt ans de paix �� son pays. Avait-il le droit de faire ce qu'il a fait?
Pisistrate s'empare de la citadelle par un coup de main, et pr��pare le si��cle de P��ricl��s. Brutus viole la Constitution monarchique de Rome, expulse les Tarquins, et fonde �� coups de poignard une r��publique dont la grandeur est le plus imposant spectacle qui ait ��t�� donn�� �� l'univers. Mais la lutte entre le patriciat et la pl��be, qui, tant qu'elle a ��t�� contenue, a fait la vitalit�� de la R��publique, en am��ne la dissolution, et tout va p��rir. C��sar et Auguste apparaissent; ce sont encore des violateurs; mais l'empire romain qui a succ��d�� �� la R��publique, grace �� eux, dure autant qu'elle, et ne succombe qu'en couvrant le monde entier de ses d��bris. Eh bien, le droit ��tait-il avec ces hommes audacieux? Non, selon vous. Et cependant la post��rit�� les a couverts de gloire; en r��alit��, ils ont servi et sauv�� leur pays; ils en ont prolong�� l'existence �� travers les si��cles. Vous voyez bien que dans les ��tats le principe du droit est domin�� par celui de l'int��r��t, et ce qui se d��gage de ces consid��rations, c'est que le bien peut sortir du mal; qu'on arrive au bien par le mal, comme on gu��rit par le poison, comme on sauve la vie par le tranchant du fer. Je me suis moins pr��occup�� de ce qui est bon et moral que de ce qui est utile et n��cessaire; j'ai pris les soci��t��s telles qu'elles sont, et j'ai donn�� des r��gles en cons��quence.
Abstraitement parlant, la violence et l'astuce sont-elles un mal? Oui; mais il faudra bien les employer pour gouverner les hommes, tant que les hommes ne seront pas des anges.
Tout est bon ou mauvais, suivant l'usage qu'on en fait et le fruit que l'on en tire; la fin justifie les moyens: et maintenant si vous me demandez pourquoi, moi r��publicain, je donne partout la pr��f��rence au gouvernement absolu, je vous dirai que, t��moin dans ma patrie de l'inconstance et de la lachet�� de la populace, de son go?t inn�� pour la servitude, de son incapacit�� �� concevoir et �� respecter les conditions de la vie libre; c'est �� mes yeux une force aveugle qui se dissout t?t ou tard, si elle n'est dans la main d'un seul homme; je r��ponds que le peuple, livr�� �� lui-m��me, ne saura que se d��truire; qu'il ne saura jamais administrer, ni juger, ni faire la guerre. Je vous dirai que la Gr��ce n'a brill�� que dans les ��clipses de la libert��; que sans le despotisme de l'aristocratie romaine, et que, plus tard, sans le despotisme des empereurs, l'��clatante civilisation de l'Europe ne se f?t jamais d��velopp��e.
Chercherai-je mes exemples dans les ��tats modernes? Ils sont si frappants et si nombreux que je prendrai les premiers venus.
Sous quelles institutions et sous quels hommes les r��publiques italiennes ont-elles brill��? Avec quels souverains l'Espagne, la France, l'Allemagne, ont-elles constitu�� leur puissance? Sous les L��on X, les Jules II, les Philippe II, les Barberousse, les Louis XIV, les Napol��on, tous hommes �� la main terrible, et pos��e plus souvent sur la garde de leurs ��p��es que sur la charte de leurs ��tats.
Mais je m'��tonne d'avoir parl�� si longtemps pour convaincre l'illustre ��crivain qui m'��coute. Une partie de ces id��es n'est-elle pas, si je suis bien inform��, dans l'Esprit des lois? Ce discours a-t-il bless�� l'homme grave et froid qui a m��dit��, sans passion, sur les probl��mes de la politique? Les encyclop��distes n'��taient pas des Catons: l'auteur des Lettres Persanes n'��tait pas un saint, ni m��me un d��vot bien fervent. Notre ��cole, qu'on dit immorale, ��tait
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